Three billboards¹
|de Martin McDonagh, 2017, ****
À l’entrée d’Ebbing, Missouri, il y a trois panneaux délabrés. Des panneaux publicitaires abandonnés depuis que l’autoroute a supprimé tout trafic sur la route qui traversait la ville. Des panneaux dont tout le monde, même leurs propriétaires, a oublié l’existence. Sauf Mildred Hayes, qui habite à côté et a un message à faire passer : « violée pendant son agonie — et toujours aucune arrestation ? — comment ça se fait, chef Willoughby ? »
Là, comme ça, ça ressemblerait presque à un polar noir. Sauf qu’en fait, ça n’a quasiment rien d’un polar classique : l’enquête se heurte à l’absence totale de témoins, de preuves, ou même d’identification scientifique. Autant dire que le film ne tourne pas autour de celle-ci. Son vrai sujet, c’est la haine et la souffrance, la façon dont elles se nourrissent et dont, parfois, étonnamment, elles s’apaisent.
Histoire de ne pas basculer systématiquement dans le sordide, McDonagh joue çà et là la carte comique, avec quelques passages un peu trop caricaturaux mais aussi des situations subtilement drôles et des échanges du tac-au-tac doux-amers. Le résultat oscille en permanence entre comédie et drame, prenant un malin plaisir à saisir son spectateur à contre-pied pour le renvoyer dans la direction opposée. Cela mène parfois à des bouleversements émotionnels, comme lorsque la mère se remémore une discussion avec sa fille et que la fin de l’échange donne brutalement un écho tragique à l’ensemble de la scène.
Il faut donc saluer avant tout le travail d’écriture : c’est une œuvre complexe, qui pose moult questions sur la fin de vie, l’éthique, les rapports entre gens respectables et méprisables. À partir d’archétypes plutôt simplistes (un flic honnête et bon père de famille, un flic redneck raciste et violent, une mère caractérielle dont la fille a été assassinée…), l’auteur crée des relations variées en poussant la logique de chacun à son terme avant, parfois, de la retourner. Il conserve cette volonté jusqu’au bout, avec un finale qui laisse une petite infinité de questions en suspens et refuse obstinément de distribuer bons ou mouvais points.
Je ne m’étalerai pas sur le travail des acteurs. Si vous n’en avez pas entendu parler, sachez que McDormand et Rockwell ont récupéré un Golden Globe chacun, qu’ils sont nominés avec Harrelson pour les Screen Actors Guild Awards et que si les nominations pour les Oscars n’ont pas encore été annoncées, les rumeurs les voient très bien placés. Pour ma part, je vous dirai juste que tous trois sont époustouflants, chacun jouant avec brio de plusieurs registres au fil des évolutions de leurs personnages. Ben Davis, habitué à photographier de très gros films (notamment chez Marvel), revient à une production plus simple mais s’offre quelques plans magnifiques ; l’ensemble de l’équipe technique fait d’ailleurs un excellent travail, sobre et soigné.
Three billboards n’est pas forcément un film évident à conseiller : il est parfois dur, éprouvant même, clairement pas un truc qu’on va voir en famille ou pour se détendre. Mais c’est un film remarquable, humaniste, complexe, pleinement tragique quoique souvent comique, qui vous fera passer par toute une palette d’émotions avant de vous lâcher éreinté.
¹ Certes, le titre original, Three billboards outside Ebbing, Missouri, est un peu long. Il était donc compréhensible de le raccourcir chez nous. Mais du coup, rajouter un sous-titre Les panneaux de la vengeance après le tire original abrégé, c’est pas un peu con ?