Narcos (saisons 1–2)
|de Chris Brancato, Carlo Bernard et Doug Miro, 2015–2016, ****
C’est l’histoire d’un mec qui sait se faire des amis. Intelligent, cultivé, charmant même, c’est un bon père de famille, un mari aimant, un fils attentionné et un voisin agréable. Il a surtout la bonne habitude de distribuer une part de sa richesse, nourrissant les œuvres de bienfaisance de sa ville, faisant construire ou rénover des logements, embauchant les jeunes de quartiers difficiles et donnant de l’argent aux pauvres, aux magistrats et aux policiers. Très populaire, il se voit président de la République et se présente à la députation…
Le problème, c’est que député, c’est un rôle qui attire les projecteurs. Et que quand on tient sa fortune du trafic de cocaïne, normalement, on préfère la discrétion. Le seul jour où il pénètre dans la Chambre des représentants n’est pas seulement celui de son humiliation publique : c’est aussi le jour où prend fin la spirale ascendante et où débute la chute de Pablo Emilio Escobar Gaviria.
Commençons par le truc qui fâche : il y a une très, très grosse rupture de rythme en plein milieu de la première saison. De deux choses l’une : soit les auteurs pensaient que l’histoire d’Escobar n’était intéressante qu’à partir du moment où il faisait construire la Cathédrale, soit ils avaient prévu de raconter toute son histoire en une saison et c’est au milieu de la production qu’on leur a dit que finalement, ils en auraient deux.
En tout les cas, les cinq-six premières heures sont menées tambour battant, avec parfois des ellipses de plusieurs mois et une concentration sur l’histoire de ce petit trafiquant de matériel hi-fi qui se retrouve riche à ne plus savoir qu’en faire. Cette partie joue sur les codes de la success story à l’américaine (c’est narré par un agent de la DEA), ce qui lui donne un aspect presque comique au second degré ; la tonalité de cette ouverture a sans doute inspiré Barry Seal, sorti cet été.
La fin de la première saison bascule brusquement dans le polar pur et dur, piochant ses références du côté de Heat et se mettant sans transition à détailler les histoires de famille, les doutes et les espoirs, la voix off passant d’ailleurs du « il » au « je ».
Vous me direz peut-être que ça correspond au moment où Steve Murphy, narrateur, arrive à Medellín et découvre de l’intérieur une histoire qu’il contait jusque là à distance. Certes, mais c’est trop brutal, mal fichu, et le changement de tonalité et de rythme fait vraiment artificiel.
C’est dommage parce que les deux versions ont leur intérêt, leurs qualités et leur façon de tenir le spectateur. C’est la transition qui est mal gérée. Et du coup, c’est seulement dans la deuxième saison qu’on prend vraiment la mesure de la qualité des acteurs, qui ont enfin des personnages installés, creusés, avec des évolutions parallèles et des enjeux personnels qui s’ajoutent à la simple histoire. Wagner Moura, qui se contente d’incarner un Escobar ambitieux et charmeur au début de la série, se révèle réellement par la suite pour finir par écraser le reste du casting avec un remarquable mélange de fureur, de tendresse, de peur et d’ego.
L’écriture plus travaillée de la seconde saison a un autre avantage : faire oublier l’Histoire. Parce que bon, à moins d’avoir vécu les années 80 et 90 en ermite, on connaît tous grosso modo le cartel de Medellín, qui a atteint une puissance financière comparable à celle de l’État colombien avant de s’effondrer encore plus vite qu’il n’avait été monté. Et on se souvient tous des images, qui ont fait la « une » des journaux, d’Escobar mort sur son toit en 93. C’est donc un vrai succès des auteurs que d’arriver, à deux épisodes du bouclage de la seconde saison, à nous faire encore demander si c’est la fin ou si cet orvet a encore un tour dans son sac.
Dans l’ensemble, Narcos est donc une vraie bonne série policière dramatique, avec une base historique relativement respectée mais assez romancée pour être intéressante, avec une tonalité noire maîtrisée, une réalisation soignée, des personnages bien construits, un casting de choix mené par un premier rôle admirable. Elle est un peu déstabilisée par ses premiers épisodes, qui sont une bonne série policière comique à la tonalité enlevée et à l’écriture légère ; mais cette étape franchie, ce thriller crépusculaire est d’une qualité remarquable.