Shooter

de John Hlavin, 2016–2017, *

Bob Lee Swagger, tireur d’é­lite retrai­té, embau­ché pour pré­pa­rer l’as­sas­si­nat du pré­sident des États-Unis. Préparer, pas exé­cu­ter : son bou­lot est de com­prendre où, quand et com­ment le vrai tireur se pla­ce­ra, pour pou­voir empê­cher l’at­ten­tat. Mais sur­prise, le jour J, non seule­ment per­sonne n’empêche l’at­ten­tat, mais Swagger se retrouve dési­gné comme le « tireur soli­taire » et doit trou­ver ceux qui l’ont pié­gé pour laver son honneur.

On recon­naît le scé­na­rio de Point of impact¹, qui sert de base à la pre­mière sai­son de cette série. Le même roman avait préa­la­ble­ment ins­pi­ré Shooter : tireur d’é­lite d’Antoine Fuqua, avec Mark Wahlberg dans le pre­mier rôle — les mêmes qui ont pro­duit notre série du jour : rien ne se perd à Hollywood.

Vous voyez, si je vou­lais shoo­ter le pré­sident, je me met­trais là, j’ai mes repères pour le vent ici, la balle pas­se­rait juste là… — pho­to Dean Buscher pour USA Network

Et comme Tireur d’é­lite, Shooter tente d’a­bord de miser sur la carte tech­nique, avec des consi­dé­ra­tions poin­tues sur l’art de pla­cer une balle de .308 exac­te­ment là où on veut la pla­cer — que ça soit une tête ou un pneu, à 200 m ou à 2 km, par temps calme ou par grand vent, vers l’est ou vers le nord². Le pro­blème, c’est qu’il se prend régu­liè­re­ment les pieds dans le tapis, mul­ti­pliant les chiffres mais ratant des évi­dences : par exemple, il n’y a aucune cor­ré­la­tion entre les dis­tances annon­cées dans le script et la taille des objets dans les lunettes.

Passons donc la ques­tion du réa­lisme et inté­res­sons-nous au scénario.

Ah mince, mau­vaise idée.

La force de Point of impact, reprise fidè­le­ment dans Tireur d’é­lite, c’est la per­son­na­li­té de Swagger. Fort en maths et en stra­té­gie, effi­cace et impla­cable, il a pas­sé la guerre à dégom­mer sans se poser de ques­tion les cibles qu’on lui dési­gnait. Démobilisé après un com­bat où son poin­teur a été abat­tu et où il a été bles­sé, il sombre dans l’al­coo­lisme et se ren­ferme en ermite, prêt à tirer sur qui­conque s’ap­pro­che­rait de sa pro­prié­té sans invi­ta­tion. Et s’il revient dans le jeu, c’est parce que mal­gré tout, il reste fidèle à son ser­ment : pro­té­ger la Constitution des États-Unis contre tous les enne­mis, étran­gers et domes­tiques… et aus­si, un peu, parce qu’on lui pro­met une chance de ven­geance contre celui qui l’a bles­sé. Point of impact s’ins­crit, quelque part, dans la tra­di­tion des œuvres où les anciens mili­taires, une fois démo­bi­li­sés, sont aban­don­nés à leurs démons sans aucun sou­tien jus­qu’à ce que ça pète à la gueule de tout le monde, qu’il s’a­gisse des tra­giques Voyage au bout de l’en­fer et Rambo : le pre­mier sang ou du plus comique L’arme fatale.

C’est nul, ces his­toires de sol­dats mau­dits… Si je le trans­for­mais en père de famille idéal ? — pho­to Jeff Daly pour USA Network

Or, c’est pré­ci­sé­ment le point que les scé­na­ristes de Shooter ont modi­fié. Leur Swagger a le swag : beau gosse, bien inté­gré, avec une femme et une fille qui l’aiment, c’est un vrai modèle tou­jours patriote, tou­jours posi­tif, une incar­na­tion lumi­neuse du rêve américain.

On pour­rait m’ac­cu­ser de cri­ti­quer une adap­ta­tion alors que c’est jus­te­ment le rôle d’une adap­ta­tion que de retou­cher des élé­ments. Mais le pro­blème n’est pas de chan­ger la per­son­na­li­té du héros ; le pro­blème, c’est que ça ruine tota­le­ment le scé­na­rio. On se retrouve avec un sché­ma réso­lu­ment mani­chéen, où Swagger a toutes les qua­li­tés et ses enne­mis tous les vices. Le même pro­blème se pose, de manière un peu moins aiguë tout de même, avec Memphis, ini­tia­le­ment jeune « roo­kie » qui doute de tout, ici super­star du FBI au carac­tère dif­fi­cile mais à l’ins­tinct infaillible. En fait, tout ce qui était ambi­gu a été éli­mi­né au pro­fit d’un script bien linéaire et bien propre — même si l’autre, là, a un peu honte quand même, parce qu’il en faut un pour que les scé­na­ristes puissent dire « eh non, vous voyez, on a fait notre bou­lot, il y a lui qui hésite ».

Dernière retouche et non des moindres, puis­qu’il n’a plus de fai­blesse, Swagger n’a plus non plus de rédemp­tion. Il ne reste donc plus rien que l’his­toire d’un beau gosse, père aimant et mari irré­pro­chable, vic­time d’un com­plot, qui va tran­quille­ment démon­ter celui-ci au fil de res­sorts plus plats les uns que les autres.

Et dire que cer­tains repro­chaient à Tireur d’é­lite son manque de psychologie…

Visuel sur le scé­na­riste. 1300 m, vent de la droite pour 8 km/h, deux secondes de vol, je cor­rige de deux clics et je me le fais. — pho­to Dean Buscher pour USA Networks

Dieu mer­ci, il y a la réa­li­sa­tion, la pho­to et le mon­tage. Oh, pas que ça soient de grandes réus­sites ; les com­po­si­tions les plus soi­gnées et les angles les plus auda­cieux sont avant tout des­ti­nés à mas­quer seins et pos­té­rieur de Shantel VanSanten lors­qu’elle sort de la douche, cible tout public oblige. Mais les tech­ni­ciens font leur tra­vail, les scènes d’ac­tion sont plu­tôt lisibles, la pho­to est agréable et l’en­semble est suf­fi­sam­ment ryth­mé pour se regar­der sans déplaisir.

À l’heure du bilan, si l’on ignore les anté­cé­dents de la série, c’est une trame d’action/complot fort clas­sique, à l’é­cri­ture facile et peu ori­gi­nale, géné­reu­se­ment inco­hé­rente çà et là mais à la réa­li­sa­tion effi­cace, qui passe sans lais­ser de trace. On la remarque sur­tout pour les rebon­dis­se­ments de sa pro­duc­tion (le lan­ce­ment déca­lé en rai­son d’at­ten­tats suc­ces­sifs, l’ac­ci­dent grave sur le tour­nage de la pre­mière sai­son, l’in­ter­rup­tion de la seconde sai­son du jour au len­de­main…), mais l’en­semble reste passable.

Et si l’on se sou­vient du film ou du roman qui ont pré­cé­dé, Shooter n’est qu’une molle décep­tion qui ne par­vient même pas à être véri­ta­ble­ment révoltante.

¹ Initialement publié sous le titre « fran­çais » Romeo dog, repris sous le titre Shooter après la sor­tie du film. Comme Bob Lee Swagger, le Comité anti-tra­duc­tions foi­reuses a depuis noyé son cha­grin dans l’alcool.

² La Terre tour­nant d’est en ouest sur un axe nord-sud, la dévia­tion du pro­jec­tile n’est pas la même selon le sens dans lequel on tire. C’est une des preuves de la rota­tion ter­restre que les fans d’armes à feu devraient com­prendre, bien que ça soient sou­vent les mêmes qui pré­tendent encore que la Terre est plate.