Designated survivor
|de David Guggenheim, depuis 2016, ***
En France, si le président de la République meurt, le président du Sénat exerce ses fonctions. Dans le cas peu probable ou président du Sénat mourrait également, c’est l’ensemble du gouvernement qui dirigerait l’État, collégialement (mais toujours sous l’autorité du premier ministre). Dans tous les cas, il s’agit d’un bref intérim, le temps d’organiser une élection présidentielle.
C’est un peu différent aux États-Unis : les élections ont lieu à date fixe et le remplaçant du président finit le mandat. Il y a donc un ordre de succession plus précis et plus strict, l’intérim pouvant atteindre quatre ans (John Tyler détient le record effectif avec 3 ans et 11 mois, suite à la mort de Harrisson après un mois tout juste d’exercice). C’est le vice-président, puis le « speaker » de la Chambre des représentants, puis le président du Sénat, puis les membres du Cabinet (secrétaires d’État et procureur général). En France, les réunions du président de la République, de celui du Sénat et de la totalité du gouvernement sont rares, pour ne pas dire inexistantes ; aux États-Unis, le président de la République, l’ensemble du Congrès et le Cabinet se réunissent très régulièrement, lors des discours sur l’état de l’Union (au moins un par an, même si la Constitution n’impose pas de périodicité précise). Pour faire bonne mesure, on y ajoute la totalité de la Cour suprême, ce qui est extrêmement pratique : il suffit alors de placer une bombe au bon endroit pour débarrasser l’État fédéral de la présidence, de son exécutif, du corps législatif et de l’autorité judiciaire ultime.
Mais…
Mais en fait, il restera toujours un président. Pour chaque discours sur l’état de l’Union, un survivant est désigné parmi les quinze membres du cabinet inscrits dans l’ordre de succession. En cas de décès de tous les autres, ce président serait alors chargé de gérer l’État fédéral, d’organiser les élections des représentants et des sénateurs, puis de former un gouvernement et de nommer les membres de la Cour suprême — forcément dans cet ordre, les chambres devant valider les ministres et les « justices ». Autant dire qu’en théorie, être survivant désigné est un honneur et une sacrée responsabilité : le bonhomme (ou la bonne femme) devra tout simplement assurer la survie des États-Unis dans les pires des conditions possibles.
Cependant, comme la probabilité qu’un tel événement se produise sans qu’aucun successeur sur place ne survive est très limitée, la place de survivant désigné peut également être une punition, une façon pour le président de se débarrasser d’un membre du cabinet qu’il ne veut pas voir sur la photo de famille. Tom Kirkman, secrétaire au logement donc treizième dans l’ordre de succession, a récemment été promis à un placard d’ambassadeur au Canada ; aussi, lorsqu’on lui explique qu’il ne va pas assister au discours sur l’état de l’Union mais rester sagement dans une salle forte à distance raisonnable du Capitole, il le prend plutôt comme ça.
Voilà qu’un attentat parfaitement calibré détruit le Capitole et tous ses occupants. Kirkman passe donc d’obscur secrétaire d’État en disgrâce à président de la République…
L’avantage de Designated survivor, c’est qu’elle mélange naturellement des sujets très différents. On s’attend évidemment à une bonne dose de politique-fiction, et il y en a : il s’agit, après tout, de reconstruire un État fédéral, avec ce que ça suppose de coups de force (un État peut-il refuser de reconnaître l’autorité du nouveau président et menacer de sécession ?), de négociations (comment imposer sa présidence à des directeurs d’administrations et à des généraux qui ont le sentiment de bien mieux connaître leur taf qu’un secrétaire au logement ?) et de doutes (comment se convaincre qu’on est bien président, quand on se préparait à faire ses valises ?). Comme toute série moderne, il y a une dose de drame familial, parfois un peu capillotracté mais pas trop envahissant. Et bien entendu, il y a l’enquête sur l’attentat, menée parallèlement par les services secrets et par le FBI, qui révèle évidemment un complot assez large — on n’organise pas l’explosion d’un bâtiment aussi gardé que le Capitole sans complicités. Ça permet de ratisser relativement large et, également, de limiter un peu le sentiment de monotonie qui peut parfois surgir lorsqu’une saison dure quinze heures : ici, les sujets sont suffisamment variés pour tenir le rythme sans forcer ses effets.
Elle souffre tout de même d’une réalisation assez ordinaire et, surtout, d’un scénario parfois prévisible dans lequel on trouve quelques trous à côté desquels le Sima Humboldt fait figure de petite doline sans intérêt. Parce que bon, c’est quand même la première fois que j’entends dire que si on passe la porte d’entrée du Pentagone avec une fausse carte d’identité, on peut arriver directement au serveur central du système informatique sans repasser le moindre contrôle — et d’ailleurs, quand l’informatique commence à merder, personne n’a l’idée de jeter un œil à la salle des serveurs, qui n’est pas gardée.
Les premiers épisodes sont donc très intéressants sur le plan constitutionnel et globalement fort bien traités. L’enquête policière est hélas un peu bâclée et la deuxième partie de la première saison, où elle prend un peu le pas sur les autres aspects, en souffre logiquement. Mais pour qui a envie d’avoir une vision un peu plus positive de la politique que celle de House of cards ou de se plonger sans trop de douleur dans le système politique américain, Designated survivor est une série tout à fait honnête et totalement fréquentable.