The lost city of Z
|de James Gray, 2016, ***
Percy Fawcett est un capitaine de l’Artillerie royale. Ambitieux, il est freiné par un nom entaché de honte, et saute sur l’occasion de le faire oublier en allant tracer la frontière entre Bolivie et Brésil. Délaissant donc son fils et sa femme enceinte, le voilà pour deux ans explorateur, cartographe et aussi un peu diplomate, en pleine Amazonie. Il entend parler d’une cité perdue là-bas dans la forêt, là où les autochtones sont inconnus, souvent hostiles, parfois anthropophages, et passera le reste de sa vie à préparer des expéditions pour tenter de la retrouver.
D’entrée, on peut noter certaines bizarreries. Tel qu’on nous le présente, Fawcett était un père responsable et un mari aimant, tranquillement installé en Angleterre, jusqu’à cette funeste année 1906 où il part en Amérique du Sud et à partir de laquelle il ne reviendra en famille que le temps de préparer l’expédition suivante. On nous fait ainsi passer pour réel (si si, on nous dit que c’est une histoire vraie) un héros de cinéma américain qui n’a qu’un lointain rapport avec le personnage original.
Fawcett a commencé à voyager bien avant d’arriver en Bolivie : c’est en poste à Ceylan qu’il a rencontré Nina et il a travaillé en Afrique avant d’être posté en Irlande. Quant à sa motivation première pour accepter le poste, la disgrâce familiale à compenser, on n’en trouve nulle mention dans la vie réelle ; Fawcett était un voyageur, et cela devait en fait être une raison suffisante. Il n’était également pas un jeune officier fringant lorsqu’il est devenu explorateur : il avait 39 ans pour sa première expédition et approchait tranquillement la soixantaine lors de la dernière.
Vous me direz : « okay, mais on est loin de l’attentat historique du naufrage du Pequod, pardon, je voulais dire de l’Essex ». Bien, il est donc temps d’évoquer la scène qui tue : Percy Fawcett défendant bec et ongles les Indiens, affirmant véhémentement à la haute société britannique qu’ils sont l’égal de l’homme blanc. Je veux bien qu’il ait été amical avec les autochtones, qu’il leur ait fait des cadeaux et qu’il ait respecté leurs règles de politesse, mais de là à se mettre à coup sûr au ban de la Société géographique royale pour défendre leur honneur, comment dire… Si Fawcett avait, dans l’Angleterre post-victorienne d’alors, ne serait-ce qu’osé mettre en doute la supériorité de l’homme blanc, il serait resté dans les mémoires comme « la preuve que la Bolivie rend fou », pas comme un explorateur. Fawcett était un militaire anglais du début du 20è siècle, pas un pasteur noir américain des années 60, bon sang !
(Petite note en passant : d’après une rapide recherche, il notait à l’époque dans son journal : « il y a trois sortes d’Indiens. Les premiers sont des gens pauvres et dociles, faciles à amadouer ; les deuxièmes, des cannibales dangereux et répugnants que l’on voit rarement ; les troisièmes, un peuple robuste et élégant, qui doit avoir une origine civilisée ». Ça sent pas franchement le héraut de l’anti-racisme, mais je ne saurais garantir l’origine de la citation, l’article étant justement destiné à attirer l’attention sur les exagérations du film et du roman qui l’a inspiré.)
Donc si, quelque part, on est bien dans le domaine de l’attentat historique, avec cette détestable tendance à prendre des personnages ayant existé pour les transformer en héros modernes, droits, hollywoodiens, beaux gosses, attachés aux droits de l’homme et aux libertés individuelles.
Assez de fiel : prenons le film comme une fiction et avançons, voulez-vous ?
Et bien, comme fiction, The lost city of Z a des qualités. Un montage soigné lui permet de bien tourner, les acteurs font leur boulot correctement, la photo est réussie, la réalisation efficace et dans l’ensemble le scénario est plutôt prenant.
Mais il suffit d’une poignée de scènes pour foutre le film en l’air. Il y a l’impression de déjà-vu quand Nina annonce à Percy qu’elle est à nouveau enceinte, bien sûr, mais il y a surtout l’échange avec Jack après l’expédition de 1920. Je vous le résume vite fait :
— Papa, t’es un gros connard, tu nous laisses seuls pendant des années pour chercher tes cailloux dans la forêt, Maman se casse le cul pour nous faire bouffer et quand tu rentres, tu nous gueules dessus et tu penses qu’à repartir. Je veux te voir crever bouffé par les moustiques, que ton corps desséché nourrisse les mygales et que les Indiens chient sur ta dépouille.
— Fiston, tu sais quoi, je t’aime. Tu veux apprendre à dessiner des cartes ? Viens on va en Amazonie.
— T’es le meilleur papa du monde.
Je pensais naïvement que les auteurs d’Hollywood avaient compris que ce genre d’échanges était interdit depuis Le choc des titans, mais apparemment non. Pourtant, même dans les parodies, ils n’osent plus descendre à ce niveau.
Pour conclure, disons que le film en lui-même est plutôt entraînant et efficace, malgré quelques maladresses. Mais il ne faut surtout pas penser qu’il raconte une histoire vraie.