Personal shopper

d’Olivier Assayas, 2016, ****

Olivier Assayas et Yorick le Saux qui filment Kristen Stewart : la recette pour­rait vague­ment rap­pe­ler leur excellent film pré­cé­dent. Pourtant, bien que conçu, fil­mé, réa­li­sé et mon­té par les mêmes per­sonnes, Personal shop­per n’a abso­lu­ment rien à voir avec Sils Maria : là où celui-ci igno­rait tota­le­ment les hommes, celui-là repose sur deux mâles. Simples jouets déco­ra­tifs tour­nant autour des femmes il y a deux ans, les hommes sont main­te­nant au pou­voir : l’un est une ins­pi­ra­tion, une moti­va­tion, une obses­sion même pour sa sœur, et ce alors qu’il est mort depuis quelques mois ; l’autre est pré­da­teur, inquié­tant et dan­ge­reux sous un abord déli­ca­te­ment détaché.

Quand le shopping est un travail, on s'aperçoit qu'au fond, c'est chiant. - photo Les films du losange
Quand le shop­ping est un tra­vail, on s’a­per­çoit qu’au fond, c’est chiant. — pho­to Les films du losange

Cela n’empêche que l’es­sen­tiel du cas­ting est fémi­nin et que le film raconte, avant tout, les névroses et les obses­sions d’une femme dont le frère vient de mou­rir. Médium, elle attend un « signe » du dis­pa­ru et, en atten­dant, gagne sa vie en fai­sant les courses pour une star­lette qui n’a pas le temps de renou­ve­ler elle-même sa garde-robe.

Le reste n’est pas vrai­ment racon­table. C’est une suite de scènes, alter­nant la vie quo­ti­dienne, la frus­trante réa­li­té d’un tra­vail que tant d’autres consi­dèrent comme un loi­sir, les nuits d’an­goisse dans la mai­son vide du dis­pa­ru, les ren­contres avec l’a­mant de l’employeuse ou la veuve du mort, les échanges de mes­sages avec un incon­nu, et les nuits d’al­cool dans la mai­son vide de l’employeuse. Tout est dans l’am­biance, l’at­tente, le tra­vail pour per­mettre l’at­tente, les dis­trac­tions pour oublier l’at­tente. C’est évi­dem­ment une his­toire de fan­tôme, mais pas juste de l’es­prit du dis­pa­ru : la vie, le tra­vail, la moti­va­tion, les espoirs, la civi­li­sa­tion et la socié­té moderne, tout cela est éga­le­ment réduit à l’é­tat spec­tral, et l’hé­roïne semble par­fois elle-même n’être que son propre fantôme.

"Esprit, es-tu là ?" Le classique de la maison hantée revisité. - photo Les films du losange
« Esprit, es-tu là ? » Le clas­sique de la mai­son han­tée revi­si­té. — pho­to Les films du losange

Ce qui nous mène à une ques­tion inévi­table : est-ce chiant ? On va pas se men­tir, ça doit pou­voir l’être. Objectivement, le film est vain, le script tient sur une page, et Assayas joue sur les silences, le vide et la lan­gueur pour sai­sir l’es­prit de son personnage.

Oui, mais.

Il est pos­sible d’être sen­sible à cer­tains échos, à cer­taines mimiques, à cer­taines into­na­tions. Il est pos­sible d’être tou­ché par ce vide et cette lan­gueur. Il est pos­sible de trou­ver fas­ci­nant cet ennui, qui pro­gresse par petites touches plus ou moins inquié­tantes vers un « cut » final certes pré­vi­sible, mais parfait.

En tout cas, ce film m’a tou­ché, quelque part, à un niveau assez per­son­nel pour que je le trouve très réussi.