11.22.63
|de Bridget Carpenter, 2016, ****
Vous connaissez la question : que feriez-vous si vous pouviez remonter le temps ? Pour Jake, c’est un peu plus simple : d’une part, il ne peut retourner qu’en octobre 1960 et d’autre part, son pote Al, sur son lit de mort, a choisi la réponse pour lui. La mission sera d’empêcher l’assassinat de Kennedy — on sauve JFK, on évite le Vietnam, on n’élit pas Nixon et Reagan, on épargne au monde beaucoup de catastrophes. Jake doit donc retrouver Lee Harvey Oswald, vérifier si celui-ci est seul ou fait partie d’un complot, et trouver une solution pour changer l’Histoire, en sachant qu’il lui faudra passer au moins deux ans sur place — Oswald ne rentre pas aux États-Unis avant juin 1962. Il constate surtout que le passé n’aime pas être changé : chaque tentative d’intervention s’accompagne d’un lot de difficultés imprévues, à commencer par la rencontre avec une jolie collègue blonde…
Quelques rebondissements, plein de tensions, des fausses pistes et moult imprévus : 11.22.63 tourne comme les mini-séries policières habituelles, avec un scénario finalement pas si original mais parfaitement écrit et bien mené. La réalisation est efficace, le montage et le découpage assurent une progression régulière jusqu’à une semaine de novembre 63 qui s’avale d’une traite, et le récit repose efficacement sur son couple de personnages principaux (Jake qui découvre et espionne Lee, Lee qui évolue peu à peu après son retour désabusé d’Union soviétique) et sur une poignée de très bons seconds rôles, bien écrits et bien interprétés.
Mais ce qui fait le sel de la série, c’est évidemment la reconstitution historique. Le début des années 60 est encore proche : nous avons le sentiment de bien le connaître, nous avons vu plein de films et même quelques séries télé tournés à l’époque, nous connaissons des gens qui s’en souviennent précisément. Et ce qui crée finalement une ambiance particulièrement prenante, c’est le contraste entre un quotidien que nous reconnaissons et un autre que nous avons refoulé. Le premier nous paraît juste un peu daté parce que les Kombi ont encore un pare-brise fendu, parce que les berlines font cinq mètres de long et parce que les téléphones ont un gros cadran circulaire, mais on retrouve tous les repères des histoires d’espionnage et d’enquêtes, des coups de cœur et des frustrations amoureuses. Le second nous déstabilise et est parfois franchement choquant : la pilule n’existe pas, les Nègres sont priés de s’asseoir à l’arrière des bus, un politicien en vue peut sans honte appeler à renforcer la ségrégation, et il est totalement inadmissible pour deux professeurs de flirter ouvertement. La grande force de 11.22.63, c’est de jouer sur ce paradoxe pour nous présenter une vie quotidienne tout à fait normale dans une histoire moderne, tout en intégrant régulièrement des éléments typiques de l’époque que nous n’avons plus l’habitude de voir — en tout cas hors des films spécialement dédiés aux héros de la lutte pour les droits civiques.
On pourrait presque hurler au génie s’il n’était une poignée de rebondissements et de scènes un poil lourdes — notamment avec le mari de Sadie — et surtout un épilogue excessif. J’ai passé la deuxième moitié du dernier épisode à m’enfoncer dans mon canapé en grognant que non, décidément, le bon « coupez ! » final aurait dû sonner immédiatement après le retour de Jake à l’époque présente, en laissant à peine dix secondes pour découvrir le nouveau 2016 et en nous épargnant ce happy end sirupeux.
Ça n’empêche que les 7,5 premiers épisodes sont une série troublante, bien écrite, bien menée, qui fait redécouvrir tranquillement une époque dont nous avons innocemment oublié pas mal de choses. Rien que pour ça, ils méritent vraiment d’être vus.