Les ponts de Toko-Ri
|de Mark Robson, 1954, ****
C’est l’histoire d’un avocat, officier de réserve de l’US Navy, qui a été rappelé pour être envoyé en Corée. C’est l’histoire d’un pilote d’hélicoptère de secours, un peu fantasque mais efficace. C’est l’histoire d’un amiral ferme mais humain qui considère certains pilotes comme des fils. C’est l’histoire d’un commandant de groupe aérien qui doit préparer une attaque sur des ponts stratégiques, avec éventuellement une grosse promotion en vue. C’est l’histoire d’un porte-avions et d’une partie des quelques milliers d’hommes qui travaillent et vivent dessus, de l’entraînement au combat en passant par les permissions.
Pendant la première heure, on se dit que le voilà, le vrai film de propagande de l’armée américaine. Bien plus que dans Top gun (qui est, rappelons-le, l’histoire d’une fascination ambiguë entre deux petits cons persuadés de valoir plus que tout le monde), ici, tout le monde est droit, conscient de son devoir et solidaire jusqu’aux cellules de la police militaire. La seule révélation est celle de la femme du héros lorsque l’amiral lui dit que même s’il est facile de l’ignorer, elle doit être consciente que son mari pourrait y rester ; et le temps d’une permission, elle passe de la femme américaine naïve à l’épouse de combattant déterminée, sans plus de drame que ça. La tension est logiquement croissante à l’approche de la mission, mais chacun la gère à sa manière et il ne fait guère de doute que chaque homme sera à sa place le moment venu.
Et puis, il y a la mission, avec son déroulement bien plus ambigu qu’annoncé : l’assaut sur les ponts, malgré une DCA dantesque, se déroule sans gros accroc, et c’est sur un objectif secondaire que tout se joue. Là encore bien loin des Top gun, Les chevaliers du ciel et compagnie, on évite le happy-end prévu pour un finale absurde et cruel infiniment plus réaliste.
Le film a bénéficié de moyens importants, notamment de la généreuse mise à disposition du matériel de la marine américaine. En contrepartie, il présente assez fidèlement les choses, de gabegies spectaculaires (l’utilisation de Corsair, installés sur le pont, plein gaz pendant plusieurs minutes, pour manœuvrer le porte-avions !) à des aspects parfois pointus (le fonctionnement des hélicoptères de secours, aux charges utiles encore très limitées au début des années 50).
On note bien entendu quelques petites absurdités, en particulier l’utilisation de Panther comme avion d’assaut : ce petit chasseur était incapable de porter des bombes lourdes et, en pratique, dans ce genre d’opérations, on l’aurait plutôt vu au-dessus de la scène pour guetter les MiG, laissant des Banshee ou des Skyraider mener l’assaut proprement dit ; mais dans l’ensemble, le film se tient franchement bien sur le plan technique.
Le montage est efficace, les acteurs plutôt bons malgré quelques dialogues un peu vieillots et des baisers de cinéma très très trichés, et quelques scènes vraiment amusantes viennent égayer le propos — le choc des cultures dans les bains japonais, c’est une minute de légèreté vraiment réussie.
L’ensemble est donc franchement bon, les relents militaristes de la première partie étant bien compensés par l’absurdité brutale des dernières séquences, et si le film manque un poil d’introspection, il reste plutôt équilibré entre action et réflexion et a franchement bien supporté le passage du temps.