Malevil
|de Christian de Chalonge, 1981, **
En 1980, l’anticipation post-apocalyptique a déjà moult visages : les Américains dès les années 50, puis les autres à partir des années 60, ont multiplié les films sur le sujet, intimistes ou héroïques, proches ou lointains, basés sur des apocalypses militaires, des attaques de vampires, des invasions extra-terrestres ou des effondrements sociaux.
Le cinéma français, habituellement dynamique et fort en expérimentations, a étonnamment largement snobé le genre naissant : Charles Bitsch a proposé Le dernier homme et Jean Pourtalé Demain les mômes, mais ni l’un ni l’autre n’a réellement percé dans le métier et leurs films sont restés relativement inaperçus (faudra que j’essaie de les voir un jour, d’ailleurs).
Cela change en 1981. Si Christian de Chalonge n’est pas un réalisateur de premier plan, il a déjà une petite filmographie et son précédent L’argent des autres lui a valu les César du meilleur film et du meilleur réalisateur. Il réunit un casting respecté (Serrault et Trintignant, déjà présents dans son précédent succès, Villeret, césarisé en 78, Dutronc, alors au sommet de sa gloire) et, surtout, le projet est l’adaptation d’un roman de Robert Merle ayant connu un large succès.
On ne sera donc pas surpris que cette première grande production post-apocalyptique hexagonale ait fait l’objet d’un certain soin. Par exemple, les décors de Malevil calciné ont dû demander un travail colossal : la bastide est à moitié démontée, les cendres sont dispersées au vent, la terre est grise et l’hiver nucléaire est convaincant.
Malheureusement, on n’en dira pas autant de la direction d’acteurs et de la réalisation de la première partie : de Chalonge force ses effets et en rajoute beaucoup. La réunion dans la cave lors de l’explosion nous donne cinq minutes de démonstrations théâtrales, d’autant plus étonnantes que la séquence ne manque pas de bonnes idées efficaces pour montrer la chaleur étouffante (la fonte des jambons par exemple) et que le reste du film fait preuve d’un traitement extrêmement sobre, voire austère — les dialogues sont brefs, les échanges limités, et les émotions refoulées.
L’autre faiblesse du film, c’est le scénario. On y trouve tous les classiques du genre post-apocalyptique : organisation temporaire et ajustements définitifs, questions angoissantes de la nourriture et de la reconstruction, affrontements avec les survivants épars, jusqu’à culminer avec la rencontre de l’autre groupe organisé, celui du tunnel, qui a des ressources à échanger mais connaîtra une hostilité croissante. Sur le papier, rien à redire, c’est construit logiquement et ça avance bien.
Mais hélas, ça ne creuse rien. Tous les sujets sont survolés, traités en une scène puis comme oubliés. Dans une opposition entre la communauté relativement démocratique de Malevil et la dictature religieuse du tunnel, ça aurait valu le coup de vraiment exposer les différences de statut entre personnes de chaque groupe, et en particulier celui des femmes — qui d’un côté travaillent et luttent comme les hommes mais ont le droit de s’exprimer et de choisir leurs affections, et de l’autre sont surveillées, réduites aux tâches ingrates et à l’esclavage sexuel. Malevil frôle les deux heures, mais il arrive à ne jamais vraiment prendre parti, à ne jamais vraiment s’impliquer ; il aurait énormément gagné à oublier certaines intrigues secondaires (Colin et son émetteur par exemple) et à développer un peu plus ces aspects.
Mais la vraie erreur, c’est que Malevil est sans doute le seul film post-apocalyptique à finir sur un happy end sans contrepartie. Les survivants ont refondé une société agraire mais prospère, Emmanuel s’est casé avec une mère célibataire du tunnel, Evelyne est enceinte (de qui, au fait ?), et les Puma de l’armée viennent enfin évacuer les occupants vers une zone non contaminée (sauf, curieusement, Evelyne, une milicienne et un vieux, qui préfèrent quitter en radeau la région qu’ils ont eu tant de mal à rebâtir).
Bref, tous les gentils s’en sortent bien, sans drame, et quittent Malevil, et pis voilà. Ça ne colle évidemment pas aux canons du genre, mais ça heurte également la logique interne du film : le happy end agraire pouvait encore passer, mais l’arrivée des secours et la réaction « ah oui d’accord merci » des habitants est totalement incohérente — et Emmanuel qui abandonne sa jument comme ça, après toute l’importance qu’il lui donne çà et là pendant les deux heures précédentes, c’est tout simplement incompréhensible !
Bien entendu, j’ai fait ici attention à ne pas me laisser influencer par le roman, que j’ai dévoré il y a une quinzaine d’années. Pour ceux qui voudraient voir dans le film une adaptation de celui-ci, le choc sera infiniment plus rude : la fin de l’œuvre de Merle est dure, noire ; un semblant de stabilité a pu se reconstruire, mais rien n’est vraiment résolu et beaucoup de personnages-clefs ont connu une fin tragique. C’est d’ailleurs une grande erreur du scénariste que d’avoir sauvé Momo, dont la mort est un des grands drames du roman et, surtout, un événement fondateur pour l’ensemble du groupe de Malevil.
Ce n’est évidemment pas le seul passage édulcoré, et tous les aspects politiques, religieux et humains du roman sont également passés à l’as. Là où Merle avait su capturer la nature humaine et l’abandon moral en mode survie, là où il avait montré un certains nombres d’arrangements nécessaires pour survivre en limitant les tensions (je pense en particulier à Miette, portée disparue ici), là où il avait su créer un Emmanuel complexe, grand et généreux mais manipulateur et par certains aspects très ambigu, de Chalonge nous fait du post-apocalyptique soft, avec des bons et des vilains, sans grand drame ni dilemme.
Mais au-delà du fait, absolument incontestable, que Malevil est une adaptation déplorable, c’est surtout un film, passable, soigné techniquement mais au fond lisse et moralement irréprochable — ce qui, dans ce genre particulier, est une condamnation sans appel.