Illégitime
|d’Adrian Sitaru, 2016, ****
Les hommes ne sauront jamais ce que c’est que d’être enceinte. Du coup, comme pour se venger de cette frustration, ils s’intéressent beaucoup à se qui se passe à l’intérieur des utérus, jusqu’à avoir des opinions très arrêtées sur ce qu’il devrait s’y passer. Il s’arrogent ainsi le droit de décider que racler un amas de cellules accroché à la paroi est un meurtre, de dénoncer à la police les malheureuses qui voudraient se débarrasser d’un tel amas, d’imposer à leur femme d’avoir des enfants sans savoir comment les nourrir, ou au contraire d’interdire à leur fille de garder un embryon conçu par inadvertance.
Sur le papier, le coup du repas de famille qui fait resurgir les secrets et les scandales enfouis, c’est pas forcément super motivant — ça rappelle 28 comédies françaises sorties depuis deux ans. Sauf que Illégitime, pour parfois drôle qu’il soit, n’a rien d’une comédie, son sujet maître étant l’avortement et les réactions des uns et des autres face à son éventualité. C’est en fait un portrait d’une poignée de personnes et, à travers elles, d’une société divisée, dans un pays où la religion reste très présente et où les valeurs ont été sévèrement chahutées au cours des trois dernières décennies. Ça pourrait être prétentieux, mais c’est simple et direct, par la grâce d’un traitement à la fois humaniste et grinçant qui évite de juger ses personnages… sans pour autant leur faire de cadeau.

Très bien construit, avec un rythme parfait, des dialogues efficaces (pour autant que je comprends pas des masses le roumain et que je fais confiance aux sous-titres sur ce coup) et des acteurs absolument superbes, justes et spontanés, le film hésite, avance, recule avec les doutes de ses personnages, et toutes les fins paraissent possibles jusqu’à la dernière séquence. Et si celle-ci peut, en regardant un peu vite, être vue comme un happy end un poil poussif et moralisateur, un détail la remet complètement en question — je sais pas vous, mais moi, je me demande vraiment à quoi pense la sœur aînée.
On notera tout de même une vraie faiblesse : la qualité d’image. Je ne sais pas quel matériel a été utilisé, mais la profondeur de champ toujours importante et le bruit numérique très présent en intérieur me font pencher pour du caméscope haut de gamme plutôt que de la caméra de cinéma¹. Si, quelque part, ça peut donner un style « documentaire » renforçant la crédibilité du film, ça fait parfois passer à côté de quelques plans qui auraient mérité une esthétique plus soignée.
Reste que l’œuvre est bien fichue, franchement agréable, qu’elle pose pas mal de questions en prenant garde de ne pas trop donner de réponses tranchées, et que rien que les performances d’acteur méritent le détour.
¹ En cherchant des images du film pour illustrer, je suis tombé sur des vues du tournage. Ça a donc été filmé à la Blackmagic Pocket, une caméra dont le capteur fait 7×12,5 mm — le standard au cinéma ces temps-ci est plutôt le Super 35, avec une surface sensible environ quadruple de celle-ci.