Les malheurs de Sophie
|agacement de Christophe Honoré, 2015
Étrange film, qui passe trois quarts d’heure à essayer de vous faire pleurer sur le sort d’un personnage qu’il s’est appliqué à vous faire détester pendant une heure…
Car c’est bien le fond des Malheurs de Sophie : pendant la première moitié du film, cette enfant gâtée, bourgeoise, égoïste, irresponsable et insupportable est le meilleur plaidoyer pour la stérilisation jamais imaginé. Elle m’a plus donné envie de lui retourner une taloche que tous les caprices de tous les gosses de tous mes amis depuis qu’ils ont commencé à en avoir — et non, tous les enfants de mes amis n’ont pas des caractères faciles, certains ressemblent à leurs parents 😛.
J’ai vu certains critiques comparer cette partie aux Quatre cents coups de Truffaut ; cela montre soit qu’ils n’ont pas vu celui-ci, soit qu’ils n’ont rien compris au film. Antoine a douze ans, il est négligé par ses parents pauvres et méprisé par ses professeurs, et il commence à fumer et à déconner par oisiveté et dépréciation ; Sophie, elle, a cinq ans et vit dans les meilleures conditions, entourée de gens qui lui passent à peu près n’importe quoi soit parce qu’un domestique ne saurait passer une branlée à la fille de la patronne, soit parce qu’ils sont séduits par son enthousiasme débordant. Les quatre cents coups est une critique de l’abandon parental et institutionnel, Les malheurs de Sophie est un éloge de l’enfant-roi mal éduqué.
Puis, les parents coulent, et Sophie se retrouve confrontée à la version adulte d’elle-même : sa marâtre, vieille peau sadique qui la fouette au premier prétexte. Théoriquement, on est censé souffrir pour elle et apprécier l’attention que lui portent les autres adultes ; sauf que Sophie est une telle plaie qu’on reste partagé, genre « si l’une bute l’autre, ou pourra guillotiner la survivante (après tout, ça se passe avant Mitterrand) et être débarrassé des deux ».
Hors ce centrage sur des personnages haïssables (mais sans la fascination qui peut faire se passionner pour la haine), que reste-t-il ? Un film coloré et gentillet, au rythme un peu inégal parfois, aux rebondissements souvent cousus de fil de blanc, saupoudré d’acteurs de qualité variable (leur direction n’est manifestement pas sensible aux intonations vocales et le texte est beaucoup trop souvent récité) et qui ronronne gentiment au point qu’on est surpris lorsque deux ou trois bonnes idées sortent du lot — comme la narration à travers le quatrième mur ou les trois minutes où Sophie s’amuse, seule, comme n’importe quelle gamine campagnarde et sans s’en prendre à son entourage.
Le résultat est donc un échec patent, essentiellement par la faute d’une écriture bancale qui tente lourdement de faire prendre fait et cause pour un personnage absolument, totalement et irrévocablement détestable.