Room
|de Lenny Abrahamson, 2015, ****
Jack ne vit pas dans une chambre ; Jack vit dans Chambre. La seule, l’unique. Il y a les murs, le lit, le lavabo, les toilettes, la baignoire, le placard, la table, les chaises, les livres, les jouets, la télévision et le ciel, qu’on entrevoit par la vitre du plafond. C’est l’ensemble de l’univers, où Jack vit seul avec sa mère. Le soir, Jack va dormir dans le bas du placard avant qu’apparaisse le vieux Nick, qui fait des bruits bizarres avec sa mère et disparaît dans la nuit. Parfois, sa mère craque et passe la journée prostrée sur le lit, mais Jack est grand : il a cinq ans, et il sait se préparer un bol de céréales, allumer la télévision pour voir des images d’un univers gigantesque né d’on ne sait quelle imagination, et prendre soin de lui en attendant qu’elle reprenne ses esprits.
Pour nous autres Français, le parallèle avec À moi seule est inévitable : comme lui, Room s’inspire d’un enlèvement suivi d’une séquestration longue durée qui a récemment défrayé la chronique — après l’affaire Kampusch, ce sont essentiellement les affaires Fritzl et Dugard qui ont été mises à contribution. Mais en vérité, la comparaison ne devrait guère aller plus loin : les deux films sont à peu près aussi différents qu’ils pouvaient l’être, les points de vue étant radicalement différents.
Room est centré sur Jack, son univers, sa vérité, à lui qui ne sait même pas qu’il existe quelque chose appelé « extérieur » et qui n’a jamais eu d’échange qu’avec sa mère. Outre une approche évidemment originale (la mère, qui est la première victime de l’enlèvement, n’est ainsi pas le centre du film), ce choix permet d’offrir un angle très original : à l’échelle d’un enfant de cinq ans, l’unique pièce n’est pas un cloître angoissant, mais un univers presque généreux. Il évite ainsi de jouer la carte de la claustrophobie pour se concentrer plus librement sur les rapports entre ses personnages, un enfant de cinq ans raisonnablement normal et une jeune mère qui essaie de le protéger de la réalité de la séquestration.
La seconde partie est évidemment basée sur la confrontation au monde réel, forcément différent de celui annoncé, et la façon dont le fils et la mère vont essayer de s’y adapter. Moins original que le huis-clos initial et moins centré sur Jack, ce second acte reste d’une finesse certaine, aussi bien dans l’exploration des réactions des différents personnages que dans des détails assez bien vus — la libération, c’est passer d’une prison dont on ne peut pas sortir parce qu’on ne connaît pas le code à une prison dont on ne veut pas sortir parce qu’il y a trop de journalistes.
Très finement écrit, Room n’est pas forcément un chef-d’œuvre sur le plan technique, mais il profite d’un rythme bien géré et d’ambiances très réussies. Les acteurs sont évidemment remarquables et, dans l’ensemble, c’est sans chercher à en faire trop et sans forcer ses effets que ce petit film extrêmement réussi véhicule tout un tas d’émotions complexes.