The affair
|de Sarah Treem et Hagai Levi, depuis 2014, ****
C’est une liaison classique : pendant les vacances, le père de famille rangé et vaguement las croise la serveuse mignonne et un peu triste. Ils se tournent autour, craquent, essaient de revenir à leurs conjoints, n’arrivent pas à s’oublier, tout ça.
C’est une affaire classique : une nuit, sur une route déserte, une voiture a renversé un piéton. Le conducteur a pris la tangente, le flic doit l’identifier et réunir les preuves pour que ce cas ne vienne pas rejoindre les 80 % de délits de fuite dont l’auteur n’est jamais identifié.
« Affair », en anglais, désigne aussi bien une liaison extraconjugale qu’une affaire policière. Et ici, ces deux « affairs » sans lien apparent, séparées de plusieurs années, sont en fait inextricables : l’une est la conséquence complexe de l’autre. Le début est construit comme un polar enquêtant sur un mélo, présentant en alternance deux versions de la même histoire, avec les points de vue différents et les omissions volontaires de deux témoins-clefs qu’un flic expérimenté va devoir démêler.
Cette narration alternée doit être très exigeante pour les scénaristes, qui n’y recourent d’ailleurs plus aussi systématiquement dans la deuxième saison (il reprennent les changements de point de vue, mais ne reviennent sur un même événement que lorsque la différence de perception des personnages le justifie). Le procédé est en revanche très efficace pour le spectateur : dans la première moitié d’un épisode, on sait qu’il y a des trous, des approximations, des oublis, voire des mensonges purs et simples, et la deuxième moitié présente un autre lot de trous, d’approximations et d’arrangements avec la réalité. À vous d’essayer de trouver où est le point d’équilibre… et de prendre finalement le rôle du flic, qu’on ne voit quasiment pas mais dont l’ombre plane sur l’ensemble.
Cette alternance présente un autre intérêt : présenter la part de « mensonge honnête », toujours très importante dans les témoignages, surtout des années après les faits. Vous voyez cette scène de (500) jours ensemble où Tom se remémore un échange avec Summer dans un magasin de disques et où sa sœur détruit sa rêverie en lui rappelant que cet instant de complicité désamorçait un début d’engueulade — qu’il avait totalement et honnêtement occulté ? Ici, Noah et Alison voient des détails différents, se souviennent de phrases différentes, sont sensibles à des choses différentes et finalement racontent deux histoires différentes à partir de la même réalité, et la comparaison entre ces points de vue est fascinante et extrêmement bien faite.
Au passage, la série évoque mille autres sujets — un peu tous ceux qui peuvent être importants dans une vie, en fait. Le deuil, omniprésent dans celle d’Alison, l’inspiration, essentielle dans celle de Noah, mais aussi beaucoup l’ambition, la famille, la sincérité, la sobriété, les promesses, l’amitié, l’éducation, la lassitude… Et les petites lâchetés de tout un chacun, tous les personnages ayant des moments de gloire et des heures de honte, étant un jour le héros et le lendemain le vilain. À la fin de la deuxième saison, on se dit bien sûr que l’adultère, c’est destructeur, mais aussi que le mensonge, ça ne vaut pas mieux et que l’alcoolisme, c’est pire encore ; et l’on en sort avec une vague envie de distribuer des baffes à tout le monde.
La première saison, centrée sur la liaison, laissait plein de choses en suspens — et notamment la question essentielle : qu’est-ce qu’ils foutent tous là, quel est le lien entre le délit routier d’aujourd’hui et l’adultère d’hier ? La deuxième, centrée sur l’affaire policière, répond largement à ces questions, tout en élargissant son champ d’intérêt : la reconstruction des cocus, la relation forcément paradoxale et différente qu’ils recréent plus ou moins avec leurs proches — j’ai déjà dit que la famille était un thème central de la série — et les relations de chacun avec un coupable qu’ils tentent tous de protéger pour des raisons différentes, sans même savoir avec certitude de qui il s’agit.
Vous l’aurez compris, la série repose avant tout sur sa narration extrêmement habile. Non que la partie technique démérite, mais la réalisation n’a pas d’éclat particulier ; les acteurs sont dans le haut du panier pour une série télévisée, mais certains peuvent avoir tendance à en faire un poil trop dans certains passages (encore que Joshua Jackson a très nettement relevé son niveau depuis la dernière fois où je l’avais vu, ce qui doit il est vrai faire une quinzaine d’années) et, l’un dans l’autre, les techniciens font leur taf, sans plus.
Mais l’ensemble est très fort, intelligent, intriguant et entraînant. On oscille entre mélodrame, policier et comédie dramatique en évitant les écueils de chaque genre, et c’est une excellente façon de passer une grosse vingtaine d’heures.