The man in the high castle
|de Frank Spotniz, depuis 2015, ****
C’est un fait historique : la Seconde guerre mondiale s’est terminée quand les Allemands ont rasé Washington à coups de bombe atomique. Écrasés, les États-Unis ont été partitionnés, la moitié Est étant sous contrôle nazi tandis qu’un quart Ouest est occupé par les Japonais — avec une zone-tampon, neutre, entre les deux. Quinze ans plus tard, l’équilibre des forces bascule en faveur du « grand Reich », et les dignitaires allemands se partagent entre ceux qui souhaitent ouvrir une nouvelle guerre pour posséder tous les États-Unis et ceux qui souhaitent le statu quo et la coexistence pacifique, dans un État vaguement déstabilisé par l’âge d’Hitler ; quant aux Japonais, certains veulent collaborer avec les pacifistes allemands, d’autres jugent ce comportement comme une trahison. Et des deux côtés, les autorités sont aux prises avec des résistants, qui font circuler des copies de films montrant une étrange réalité alternative, liés au mystérieux « maître du haut château ».
L’uchronie peut être un exercice intéressant, que la plupart des auteurs utilisent pour monter une « réalité parallèle » dystopique. Cette adaptation du Maître du haut château de Philip K. Dick (que je n’ai pas lu) n’échappe pas à la règle : côté allemand comme côté japonais, les Américains sont sous des bottes totalitaires plus ou moins marquées, et la zone libre est un far west sans foi ni loi. Mais la plupart des uchronies se distinguent des « simples » dystopies par leur richesse narrative : comme dans la « vraie » histoire, il y a souvent un nombre élevé d’intervenants et de sous-intrigues plus ou moins complexes menant à des résultats divers.
C’est le cas ici, la narration mêlant tranquillement les histoires d’une femme aspirée accidentellement dans le transport des films, d’un ouvrier dont une partie de la famille est juive, d’une petite frappe enrôlée par les nazis pour infiltrer la résistance, mais aussi d’officiels japonais et allemands — ministres, militaires de haut rang, diplomates ou chefs de la police secrète… C’est complexe, très varié, et ça prend l’occupation, l’histoire, la Loi, les drames et les espoirs des uns et des autres sous une multitude d’angles différents.
Si le scénario est foisonnant et captivant, la série souffre un peu sur le plan technique. La photo est assez ordinaire en dehors d’une poignée de plans un peu soignés, les acteurs sont très inégaux (Evans et Kleintank ont la personnalité de moules séparées de leurs frites, au contraire de Sewell et Tagawa qu’on avait pas vus aussi bons depuis très longtemps), et surtout il y a cette aberration absolue : les Japonais et les Allemands qui, après les politesses d’usage dans leur langue, se tapent toutes les conversations en anglais même quand ils sont entre eux !
Pas de quoi abîmer l’intérêt pour cette œuvre passionnante, heureusement : son scénario et la façon dont ses nœuds se serrent et se défont sont extrêmement réussis, et l’ambiance lourde et menaçante imprègne efficacement le spectateur. C’est juste qu’avec des acteurs du niveau supérieur, on aurait frôlé la perfection.