Les 100
|de Jason Rothenberg, depuis 2014, *
Pendant une rentrée atmosphérique, un vaisseau chauffe violemment : la température atteint plusieurs centaines de degrés, une traînée lumineuse apparaît et un bouclier thermique est indispensable, comme Columbia l’a tragiquement démontré. Bien. Dites-moi un truc : d’où vient cette chaleur ? Qui dit chaleur dit énergie, et chaque joule qui sert à chauffer l’air, à émettre de la lumière et à griller le bouclier thermique doit venir de quelque part.
Et bien, ces joules proviennent de l’énergie cinétique du vaisseau, qui pénètre la haute atmosphère à une vitesse hallucinante : en orbite, il chute à environ 7,5 km/s, ou 27 000 km/h. (Et par pitié, ne me dites pas « 25 fois la vitesse du son » : le son ne se propage pas dans le vide, donc en orbite la vitesse habituelle d’un escargot chloroformé est déjà à peu près « Mach ∞ ».) Pendant la rentrée, sa vitesse tombe rapidement à moins d’un kilomètre par seconde (là, vous pouvez dire « Mach 3 »), et c’est cette énergie cinétique qui est dissipée sous forme de chaleur et de lumière avec une puissance comparable à celle d’une centrale nucléaire comme Cruas. Durant la grosse dizaine de minutes que dure la traversée de la haute atmosphère (dans le cas d’une navette spatiale), le vaisseau perd donc environ 6,5 km/s. Comptez bien : 6 500 m/s en un peu plus de 600 s, cela fait une décélération de l’ordre de 10 m/s².
Est-ce que c’est sensible ? Ben, la gravité à la surface de la Terre est de l’ordre de 9,8 m/s². Donc, pour une rentrée « douce » comme celle de la navette spatiale (d’autres vaisseaux sont plus brutaux), la décélération moyenne est du même ordre de grandeur que la gravité terrestre, avec en fait des pointes au triple de cette valeur.
Vous vous demandez peut-être comment tout ceci est pertinent pour parler d’une série américaine intitulée Les 100. C’est simple : la rentrée atmosphérique, dans les cinq premières minutes du premier épisode, c’est le premier moment où je me suis pris la tête dans les mains en soufflant : « oh mon Dieu, ils ont osé ». Parce que dans Les 100, la rentrée atmosphérique se fait… en apesanteur. Si si. À l’intérieur du vaisseau, pendant qu’il crame à l’extérieur, tout flotte à l’intérieur.
Oui, dans la vraie vie, c’est pour les mêmes raisons qu’il crame à l’extérieur et que tout est plaqué au sol à l’intérieur. Sans combustion, ou si vous préférez sans freinage, il toucherait le sol à environ 7,5 km/s — et si vous connaissez le résultat d’un impact à 50 km/h, vous n’avez pas envie de voir le trou qu’on fait dans le sol en allant 540 fois plus vite.
Après cette grosse scène bien foireuse, on pourrait être tenté d’arrêter les frais. Mais comme je suis pas du genre à renoncer au premier obstacle, je me suis fait toute la saison 1 de cette merveilleuse série. Et je dois reconnaître qu’à la longue, on finit par lui trouver un certain charme : regarder Les 100, c’est un peu comme écouter le neveu du voisin raconter les extraordinaires aventures qu’il a eues sur sa licorne verte avec son ami imaginaire. C’est absurde, ça vole pas haut, mais une pointe de pitié finit par vous faire trouver toute cette naïveté attendrissante.
Tous les héros, qu’il s’agisse des adolescents rebelles jetés à la surface de la planète ou de leurs parents restés en orbite dans une station en sale état, ont des personnalités en carton, prennent des décisions absurdes, enchaînent les réactions débiles et passent systématiquement à côté des solutions les plus simples. Les gamins ont en plus la particularité d’arriver à construire n’importe quoi avec un vaisseau de rentrée d’urgence (ils font des barrières, des abris, des armes, ils arrivent même à faire du feu avec des morceaux d’un vaisseau spatial, le genre de truc spécialement conçu pour que rien ne puisse le faire cramer) mais ils sont incapables de réparer une radio — alors que justement, des composants électroniques, c’est le seul truc qui est disponible en grandes quantités dans un vaisseau spatial. Ah mais je suis méchant : ce point était en fait essentiel pour justifier le débarquement impromptu qui transforme l’amourette gnangnan du début en Vaudeville pesant.
Bref, Les 100 a tout de la série d’anticipation américaine de ces dernières années, pas crédible pour un sou, mal documentée, écrite avec les pieds. C’est dans la lignée des Extant, The last ship et consorts. Ça prétend être de la science-fiction, mais faute de notions élémentaires de sciences (physiques, sociales ou humaines), c’est juste de la fantasy hi-tech.
Mais ça a tout de même une qualité : Les 100 n’hésite pas à se débarrasser impitoyablement du personnage qui semblait destiné à devenir la mascotte des autres — ainsi que de quelques autres plus ou moins importants. Bon, c’est pas Game of thrones non plus, mais ça mérite bien un petit encouragement. Allez, une étoile, faut savoir faire preuve de générosité.