Docteur Frankenstein
|de Paul McGuigan, 2015, ***
Dans les 842 adaptations du roman de Shelley, il y en a 723 où le monstre est le sujet principal — dès la deuxième, Boris Karloff est devenu une superstar et Colin Clive a été oublié. Il y a aussi 96 adaptations qui tournent autour du Dr Frankenstein, et une vingtaine qui gravitent autour d’autres montres — la fiancée, le fils, tout ça.
Peu s’intéressent à Igor, et pas seulement parce qu’il n’existait pas dans le livre. En fait, je ne crois pas qu’il y en ait d’autre que Igor, dessin animé « à partir de 6 ans » produit en 2007.
Ce n’est donc pas le moindre intérêt de ce Docteur Frankenstein que de creuser un peu les origines du vil serviteur, conçu comme un écho symétrique du monstre — difforme et frustre, c’est au contact du docteur qu’il se relève et se révèle. Cela permet également de présenter plus en détail le boucher de Londres, qui assemble des morceaux d’animaux dans le rêve fou de créer la vie, à mi-chemin entre pure ambition médicale et délire mégalomaniaque.
La technique suit efficacement : on ne s’ennuie pas, les images sont soignées y compris lorsqu’il s’agit de scènes bien dégueulasses comme la démonstration à la fac (au passage, si on pouvait déporter le traducteur qui a mis « collège » dans le sous-titre, l’humanité y gagnerait), l’ensemble baigne dans un baroque victorien un peu chargé mais qui colle parfaitement à l’ambiance du film, et les nombreux épisodes pluvieux qui se sont invités sur le tournage renforcent eux aussi le classicisme gothique de l’œuvre. Et puis, on trouve nombre de clins d’œil aux précédents adaptations, sans qu’ils prennent le pas sur l’histoire ; c’est donc plutôt sympa.
Le soucis, c’est que le film ne fait finalement qu’écorcher la surface de ses sujets. Le dilemme entre poursuivre l’amour et travailler la science ? Oublié. La femme ou l’ami ? Évacué en dix secondes. L’enquêteur acharné (interprété par le décidément excellent Andrew Scott) qui met en péril les travaux de Frankenstein ? Broyé. L’arrivisme de la bourgeoisie attirée par l’odeur de l’argent ? Zappé. Le dilemme moral même de continuer ou pas après que le premier sujet a pété les plombs et est devenu incontrôlable ? Que dalle, on va en faire un deuxième vachement plus gros. Même la question religieuse (créer la vie, se prendre pour Dieu, l’ordre immuable des choses mortes, tout ça) réussit l’exploit d’être un leitmotiv un peu lassant, mais sans jamais donner lieu à une vraie explication un tant soit peu étayée !
Au bout du compte, Docteur Frankenstein est un très bel écrin, bien fait et agréable à regarder. Hélas, il est aussi rempli de beaucoup de vide, et on ne peut s’empêcher de penser que l’équipe technique et les acteurs auraient mérité un scénario un peu plus travaillé.