L’hermine
|de Christian Vincent, 2014, ****
(Lire avec emphase.) Depuis ma plus tendre enfance, je nourris une défiance toute naturelle envers Fabrice Luchini. Alliant une capacité hallucinante à passer du meilleur au pire, une diction travaillée jusqu’au surnaturel et une tendance confondante à jouer devant une caméra de l’exacte manière adaptée à une scène de théâtre, il a multiplié avec avidité les rôles intellectuels à l’excès, parfois desservis par une verve spectaculaire castrant impitoyablement toute velléité d’empathie de la part du spectateur.
(Lire normalement.) Dieu merci, de temps à autres, Luchini arrête de faire du Luchini. Il arrête de sur-servir des dialogues léchés et accepte de redescendre parmi les hommes. Et dans ces cas-là, il peut être très bon.
Ici, il joue un juge fatigué, grippé, récemment relocalisé à l’hôtel après être devenu persona non grata chez sa femme, raide comme la Justice et profondément antipathique. Le voilà qui préside une cour d’assises dans une affaire peu claire : un homme a avoué avoir tué sa fille de quelques mois, la mère de celle-ci est partie civile, mais les deux donnent des récits embrouillés et contradictoires difficiles à démêler, les expertises ne sont pas concluantes et les témoins sont d’un niveau culturel souvent trop limité pour apporter un réel éclaircissement. Pour compliquer les choses, le hasard a désigné parmi les jurés une médecin réanimatrice sur qui il a flashé comme un adolescent lorsqu’il s’est réveillé à l’hôpital quelques années plus tôt.
La première partie de l’énoncé est l’occasion de plonger dans le fonctionnement d’une cour d’assises. De la nomination des jurés au prononcé du délibéré, en passant par les différentes phases de l’audience, tout ou presque est présenté et expliqué. Le scénariste a su faire un travail didactique sans être lourd, disséminent les informations utiles au fil des occasions — les juges qui expliquent brièvement aux nouveaux jurés ce qu’il va se passer avant d’entrer dans le tribunal, par exemple. C’est aussi une petite galerie de portraits, de l’accusé mutique aux avocats absents en passant par les jurés d’origine, de culture et de caractères fort différents.
La seconde partie est un peu moins bien gérée, la passion trouble de l’ancien patient pour la soignante se mêlant à la relation de travail entre juge et jurée de manière parfois un peu maladroite. C’est également dans cette partie que Luchini ne peut s’empêcher de déclamer un poil — et désolé, mais le fait que son personnage s’appelle Racine n’excuse rien. Cette relation est toutefois sauvée par la prestation de Sidse Babett Knudsen : classe, élégante, vaguement ambiguë, elle fournit une toubib parfaite de sécheresse bienveillante et de douce fermeté.
L’ensemble est agréable, bien filmé, bien construit, un poil trop littéraire sur certains passages, mais globalement prenant, réaliste et informatif. Tout à fait recommandable pour qui veut voir comment fonctionne une cour d’assises, L’hermine peut tout autant séduire les amateurs d’enquêtes, de films humanistes et de mélo romantiques.