Infinitely polar bear
|de Maya Forbes, 2015, ****
Vouloir reprendre ses études pour obtenir de meilleurs postes et assurer un vie plus aisée à ses filles, si cela veut dire passer la semaine à Columbia en les laissant seules avec leur père à Boston, est-ce bien raisonnable ? Et si j’ajoute que ledit père est maniaco-dépressif et que nous sommes à la fin des années 70, une époque où la prise en charge du trouble bipolaire se cantonne souvent à abrutir les patients de doses massives de lithium et où un MBA n’est pas une garantie de trouver un bon travail quand on est une femme ?
C’est le sujet d’Infinitely polar bear¹ (avec un jeu de mots difficile à traduire dedans), film social qui traite finalement plus de famille, d’homme au foyer et de femme au travail à une ère où les deux sont rares, de métissages et de mélanges sociaux ― des personnages à l’éducation aisée qui vivent dans un mauvais quartier de Boston ― ou encore de la difficulté d’élever seul deux enfants, que de troubles psychiatriques finalement jamais réellement montrés.
L’œuvre repose énormément sur Mark Ruffalo, qui confirme encore une fois qu’il est infiniment meilleur pour jouer des gens ordinaires que des super-héros ou des beaux bruns ténébreux. Il est touchant, tendre, drôle, colérique, fier, honteux, doux, dur et dingue, décalé ou parfaitement posé, fort et faible, puéril et adulte comme tout un chacun. Zoe Saldana est évidemment charmante et joue très bien sa partie, mais elle est loin d’être aussi touchante, et leurs filles alternent entre scènes superbes avec répliques qui tuent et passages un poil exagérés.
Scénario et narration souffrent de quelques faiblesses, en particulier du fait de commencer avec la seule séquence qui ressemble à un épisode maniaco-dépressif, ne laissant plus à la maladie la possibilité de resservir par la suite. Cela permet évidemment de se recentrer sur le noyau familial et les relations entre père omniprésent, mère absente et filles ambivalentes, mais cela donne l’impression que la bipolarité n’est finalement qu’un prétexte facile pour introduire un peu de loufoquerie. Dans ce domaine, une série comme Shameless a fait un bien meilleur usage de la maladie, malgré une volonté initiale ouvertement délirante ! Quant à la réalisation, elle a le bon goût de rester discrète (hormis une surprenante réminiscence kubrickienne sur un plan de trois secondes), mais manque un peu de véritable souffle.
Cela n’empêche ce petit film sympathique de bien fonctionner, par la grâce de son acteur principal et la sincérité évidente de ses auteurs : ça n’est pas prétentieux, c’est parfois drôle et parfois émouvant, et finalement on passe un moment agréable, sans pathos exagéré ni excès de niaiserie.
¹ Le Comité anti-traductions foireuses nous a transmis le communiqué suivant :
Pour avoir décidé de distribuer ce film sous le titre « Daddy Cool », Bac Films et ses représentants sont condamnés collégialement à écouter Boney M. en boucle jusqu’à ce que mort s’ensuive.