Vice versa
|de Pete Docter, 2015, ****
Dans le cerveau d’un être humain, il y a cinq émotions : Joie, Tristesse, Dégoût, Peur et Colère. La plupart du temps, elles collaborent pour que leur hôte engrange un maximum de souvenirs intéressants et construise des îles de personnalité harmonieuses ; de temps en temps, l’une d’elles prend les commandes et domine un temps toutes les réactions. Parfois, enfin, un accident arrive, une émotion est éjectée de la salle de contrôle et elle est reléguée au milieu des souvenirs et de l’imagination, entraînant un déséquilibre dans la personnalité de l’hôte. C’est ce qui se passe pour Riley, 11 ans, qui vient de quitter le Minnesota, le hockey et les amis pour s’installer à San Francisco avec ses parents, et qui perd simultanément joie et tristesse.
Ne tournons pas autour du pot : il y a là-dedans plein de trucs absolument géniaux. La façon dont un même souvenir ressort triste ou joyeux selon l’humeur dominante du moment, celle dont une émotion peut prendre le contrôle d’un coup à la faveur d’un détail, l’affadissement progressif des limbes mémoriels, la première rencontre avec le brocoli, ou encore l’excellent échange entre père, mère et fille vu à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de chacun des personnages. Ça n’est pas exempt de clichés (le déménagement comme métaphore de la fin de l’enfance, ça me rappelle vaguement quelque chose) et il manque bien des émotions importantes (l’envie et la fierté, par exemple), mais l’ensemble est tout de même d’une finesse et d’une délicatesse assez surprenantes.
Surprenant aussi, le niveau de maturité que ce film « pour enfants » peut évoquer : les derniers Pixar étaient très basiques, se concentrant sur une histoire assez simple et une narration linéaire directe, mais Vice versa renoue avec les scénarios subtils, intelligents et proposant différents niveaux de lecture qui ont fait la réputation du studio. Les auteurs se sont creusé le chou pour créer un univers où émotions, souvenirs, pensées et imagination peuvent entrer en collision et se nourrir les uns les autres, et cela fonctionne réellement. Un psychanalyste freudien restera sans doute sur sa faim, mais de la gamine de quatre ans qui demande à son père quand elle comprend pas au trentenaire qui a passé sa vie à déménager et à jongler avec ses émotions, tout le monde y trouvera son compte – faut juste savoir que l’aventure amusante et colorée de l’une peut être le miroir nostalgique de l’autre, et qu’on peut sortir en trouvant le film super joyeux ou vachement triste.
L’ensemble est donc une réussite certaine, intelligente sans être intello, émouvante sans être lourde, avec une vraie originalité symbolique à peine ternie par quelques passages prévisibles et une trame générale déjà vue. Cela faisait des années que Pixar n’avait pas proposé un aussi bon film, mais ça valait le coup d’attendre.