Jurassic world
|de Colin Trevorrow, 2015, **
Tout l’art du marketing, c’est de faire passer une vieille ficelle pour une idée neuve. C’est ainsi que, vingt ans après l’échec du Jurassic Park, une grande entreprise rachète l’île où les dinosaures (et autres) s’ébattent en liberté et reconstruit un parc d’attractions. Elle poursuit également les recherches de Hammond et reconstitue régulièrement de nouvelles espèces pour relancer l’intérêt du public. En outre, elle participe discrètement à des recherches sur le vélociraptor, sorte d’autruche relativement intelligente, caractérielle et carnivore qui chasse en meute et que des militaires (qui ont trop regardé les dragons de Game of thrones) espèrent utiliser au combat. Enfin, elle développe surtout une espèce entièrement nouvelle, plus monstrueuse et plus spectaculaire, qui doit relancer la notoriété du parc après quelques années de fonctionnement.
Alors voilà. Michael Crichton et Steven Spielberg avaient fait d’un paléontologue leur héros ; ils avaient cherché les théories scientifiques de leur époque, creusé et extrapolé dessus, trouvé une base à chacun de leurs délires — par exemple, l’injection d’ADN de grenouille pour combler les trous expliquait l’apparition d’hermaphrodisme protogynique et donc de reproduction naturelle. Le vélociraptor, un peu agrandi, correspondait ainsi à ce qu’on en savait à l’époque : un prédateur rapide, agile et social.
Vingt ans après, les héros sont un duo de gosses qu’on a envie de baffer dès les premières secondes, qui passe son temps à faire des conneries (larguer sa babysitter, puis tiens si on allait là où faut pas, oh pis vu que le parc rapatrie tout le monde en urgence on va partir dans l’autre sens) et ne doit sa survie qu’à un échec spectaculaire du darwinisme. Il y a aussi une directrice de parc très à cheval sur le marketing et un ancien marine qui dresse des vélociraptors (qu’il a appelés Blue, Charlie, Delta et Echo, parce qu’il est tellement intelligent qu’il a jamais retenu comment on épelait “B” en alphabet UIT).
Côté scientifique, pas besoin d’être un grand clerc pour comprendre que ça va être beaucoup plus léger que le premier opus : les explications viennent d’abord du petit je-sais-tout qui court tout le temps, puis vaguement d’un chef de laboratoire qui la joue « vous pouvez pas créer un superprédateur sans avoir les caractéristiques qui vont avec », ceci en parlant de détails rarissimes chez les superprédateurs (changement de couleur, modification de sa signature infrarouge et création de diversions, qui sont plutôt des stratégies de survie pour des proies).
Finalement, s’il prend officiellement la suite de Jurassic park, Jurassic world pioche en fait largement autant du côté de Les dents de la mer 3, vous savez, celui avec le parc aquatique et le scénario qui rime à rien. On ne compte pas les invraisemblances (vous connaissez beaucoup d’animaux aquatiques qui peuvent rugir ?) et les monstruosités de scénario (donc, on peut monter une Gatling en 5 minutes dans un EC130 civil, mais quand l’armée envoie des hélicoptères ils n’ont pas d’armes utiles ?), et certains éléments sont ajoutés de manière totalement gratuite et n’apportent absolument rien ni à l’intrigue ni aux personnages — j’entends d’ici le dialogue entre scénaristes : « bon, les deux frangins, là, y’a monsieur je-sais-tout et monsieur j’me-fous-d’tout, faudrait qu’on ait quand même une scène où ils ont vaguement l’air de faire partie de la même famille… Oui ? Tiens, s’ils parlaient de leurs parents qui pourraient divorcer ou pas ? Okay, vendu. » Quant au finale avec ce bon vieux tyrannosaure et le nouveau superméchant, c’est un remake du dernier Godzilla, en un peu moins grandiloquent tout de même.
Bien sûr, je suis méchant. Jurassic world n’est même pas mauvais : il tourne bien, il est rythmé, et pour les amateurs de films catastrophe il est à la fois plus spectaculaire et infiniment plus réussi que bien d’autres choses. Il est juste horriblement prévisible et dépourvu de la moindre originalité, et oublie complètement que Crichton et Spielberg avaient basé leur œuvre sur une extrapolation scientifique et non sur un scénario Playmobil.
Tout l’art du marketing, c’est de faire passer une vieille ficelle pour une idée neuve. C’est ainsi que, vingt ans après la réussite de Jurassic park, un scénariste fatigué du cerveau est retourné sur l’île aux dinosaures pour construire un nouveau film.