Univers Garanti de Contrariété
|Il y a deux mois, l’Union générale cinématographique ouvrait un nouveau complexe, baptisé UGC Ciné cité Paris 19. Bonne nouvelle, me dis-je : d’une part, c’est à un quart d’heure de chez moi, et d’autre part, ça me fera un ciné flambant neuf à portée de la main.
Depuis, j’y ai vu un certain nombre de films : Thor : le monde des ténèbres, Turbo, La stratégie Ender, Hunger games — l’embrasement, et aujourd’hui Le hobbit : la désolation de Smaug, et ce dans différentes salles (03, 11, 13 et 22).
Contrairement à beaucoup de visiteurs, ça ne me dérange pas de marcher dix minutes : le positionnement du cinéma, entre la porte d’Aubervilliers et celle de la Villette, me paraît idéal pour en faire un élément de rénovation urbaine et je n’ai nulle inquiétude sur le fait que les autochtones sont heureux de voir enfin autre chose que des parkings pousser chez eux. En prime, ça peut faire un pôle d’activités avec le centre commercial du Millénaire à proximité et si l’accès en métro fait marcher dix minutes (porte de la Chapelle, sur la 12, ou de la Villette sur la 7), le tram s’arrête à proximité immédiate et on peut imaginer sans soucis une desserte par navette fluviale (l’arrêt du Millénaire est fort près, il suffit de finir un peu les chantiers pour dégager l’accès).
Même impression pour l’architecture : oui, c’est moderne, bunkerique et froid, mais c’est assez lumineux, le plan de circulation est clair et il y a des toilettes à tous les étages.
Je serai beaucoup plus critique concernant la qualité technique de projection. Et c’est dommage, parce que bordel de Dieu, c’est quand même la première qualité d’un cinéma !
Premier point, l’architecte a totalement foiré la neutralité de la salle. Les lumières de sécurité des escaliers, qui signalent les marches, sont bleues ; c’est sans doute imposé par l’UGC. Dès lors, il fallait en tenir compte et éviter qu’elles éclairent l’écran. Le choix d’un éclairage plafonnier équipé de larges réflecteurs est alors une connerie énorme : c’était la meilleure solution pour que les lampes bleues éclairent l’écran quoi que l’on fasse. Comme elles sont elles-même omnidirectionnelles, on se retrouve avec une lueur bleutée sur le bas de l’écran, qui se dégrade peu à peu vers le neutre au centre avant de revenir au bleu en haut. Toutes les salles sont concernées.
Vous direz : ce n’est pas très grave, après tout, on projette des choses sur l’écran. C’est vrai. Il suffit d’un gris moyen pour que la pollution bleue soit totalement masquée par la lampe du projecteur. Et c’est bien ça le problème : la colorimétrie n’est dès lors salie que dans les tons très sombres. Si c’était l’ensemble de l’image, l’œil s’y ferait assez facilement, comme il s’adapte à un éclairage nuageux ou au contraire incandescent.
Concrètement, voilà ce que ça donne. Vous voulez l’image de gauche, vous voyez l’image de droite. Les hautes lumières sont normales, empêchant l’œil de neutraliser la dominante bleutée des ombres. Si vous ne voyez pas que c’est moche, tant mieux pour vous, moi ça m’arrache les rétines.
En salle 13, il faut ajouter une deuxième complication : le panneau de l’issue de secours, qui crée une lumière chaude, ponctuelle, en bas de l’écran. Il refait basculer les angles dans le jaune, pourrissant encore un peu plus l’image.
Après avoir parlé image, parlons projection. Je me disais naïvement que, au moins, l’ouverture d’un nouveau complexe serait l’occasion pour l’UGC de passer au meilleur de la technologie actuelle.
Et bien là aussi, la déception est au rendez-vous, et Le hobbit est le meilleur film pour s’en rendre compte.
Parce que Peter Jackson est, entre autres, un gros maniaque de technologie, et a choisi d’aller au delà de quelques limites actuelles. Le hobbit a été filmé à 48 images par seconde, au lieu de 24 images par seconde sur les films habituels, offrant un gain en fluidité appréciable. Problème : l’UGC ne s’est pas équipée de projecteurs « HFR » (abréviation de High frame rate, haute cadence en français) ou n’a pas souhaité s’en servir (chez Christie, au moins, le passage au HFR est une question de logiciel). Le film est donc projeté à 24 images par seconde. La vitesse d’obturation étant liée à la cadence d’acquisition, chaque image dure deux fois moins longtemps qu’une image de cinéma habituelle et est donc deux fois plus nette, mais ici elle est projetée pareil ; il y a donc des « trous » dans le flou de bougé, qui augmentent l’impression de saccade. Le hobbit a été filmé pour être plus fluide que les films habituels, mais paraît l’être moins !
Autre point : le son. La trentaine de personnes qui s’en est occupée a fait un mixage en Atmos, technologie permettant un placement de chaque bruit en trois dimensions. Là aussi, l’UGC a fait l’impasse : le film est diffusé en « surround » classique, plaçant le son sur le plan horizontal seulement.
Le bilan, c’est que l’UGC Ciné cité Paris 19 se résume à cela : des salles qui abîment l’image que les réalisateurs et les directeurs de la photographie ont peaufinée, et des technologies qui étaient en service immédiatement après le passage au numérique, sans profiter des avancées plus récentes du domaine.
Et au final, je n’y vais que parce que c’est le cinéma le plus proche et qu’il passe parfois des films absents des mk2 de la Villette, alors que j’aurais adoré tomber amoureux de ces nouvelles salles.