I comme Icare
|de Henri Verneuil, 1979, ****
Un bon polar raconte une bonne enquête, avec du rythme, des dialogues et des acteurs. Un très bon polar doit ajouter un truc qui va accrocher le spectateur, le tenir en haleine, comme un méchant exceptionnel (Peur sur la ville), des scènes d’action particulièrement soignées (Bullitt) ou un angle inhabituel (L’homme de l’intérieur). Le grand polar, lui, doit ajouter une mise en abîme, une réflexion particulière et pourquoi pas s’offrir une portée philosophique en creusant la nature humaine.
I comme Icare est un grand polar. Après un début façon Douze hommes en colère, il suit une enquête classique, où l’on recherche des témoins, remonte des pistes, vérifie des faits, avec des interlocuteurs plus ou moins coopératifs et plus ou moins intéressés. Jusque là, rien que de très normal et très bien fichu.
Où il devient grand, ce n’est pas dans l’évidente métaphore avec le mythe d’Icare, d’ailleurs un peu lourdement soulignée pour être honnête ; c’est dans la plongée dans les mécanismes humains de soumission. L’expérience de Milgram n’est pas qu’un prétexte, elle est au cœur du scénario : elle explique comment un État, aussi démocratique, transparent et libéral soit-il, peut voir certains de ses éléments se transformer en organisation criminelle par l’association de la dilution de la responsabilité et du respect de l’autorité. À ce titre, I comme Icare n’est plus seulement une fiction inspirée de l’assassinat de John Kennedy : il s’étend comme introduction au totalitarisme, éclairant le fonctionnement d’un État dictatorial ou d’une organisation autoritaire quelconque et surtout l’immense difficulté que l’on peut avoir à désigner un coupable — au dessus de celui qui exécute, il y a celui qui signale, celui qui coordonne, celui qui organise, celui qui imagine, et ainsi de suite, chacun ne faisant rien de très grave et étant convaincu de la légitimité de son action. Et ce, aussi bien lorsqu’il s’agit de magouiller pour placer un dictateur à la tête d’un État sud-américain que pour faire assassiner un président de république occidentale.
Il y a aussi un détail qui m’a frappé, c’est que dans ce film d’hommes où on ne trouve aucun véritable rôle féminin, un personnage aurait pu éviter la mort s’il avait lu l’ouvrage rédigé par sa femme… Symboliquement, c’est pas mal.
Enfin, la conclusion brutalement réaliste permet au film d’aller au bout de sa logique et de sa réflexion, en remettant à sa place celui qui défie l’autorité et tente de prendre pied contre le système.
Pour faire bref, ce très bon polar français, bien joué et agréablement rythmé, a une dimension symbolique qui le rend assez incontournable.