Blade runner — the final cut
|de Ridley Scott, 1982 révisé 2007, ****
Dans le monde de l’anticipation, il y a des films où le futur est clair et propre (THX 1138, In time, …), d’autres où il est sombre et dégueulasse (Dark city, Total recall). Cette deuxième tendance est plus récente, et n’est arrivée à ses sommets qu’avec Alien et Blade runner – deux films de Ridley Scott, grand sceptique devant l’éternel lorsqu’il s’agit d’inventer un futur rose.
Blade runner, c’est donc le film où Los Angeles à continué à décatir : polluée, couverte de détritus, la ville est habitée de fantômes et personne ne s’y étonne de voir des clochards dormir dans les cartons.
C’est aussi le film où les humains sont parfois des êtres artificiels et où des gens sont chargés de reconnaître, pister et abattre ces « répliquants », qui sont interdits de séjour sur Terre. Le film qui raconte comment l’un des chasseurs de répliquants, bougon et blasé, doit s’occuper de tout un groupe de ceux-ci, plus intelligents et difficiles à reconnaître que les précédents, décidés à retrouver leur créateur.
On pourrait écrire un bouquin sur les interprétations multiples de Blade runner. La parabole religieuse sur la quête du créateur et son inévitable déception, le pessimisme technologique omniprésent chez Scott, la symbolique de la femme fragile à protéger qui cache un monstre à abattre, la question de la nature humaine et de la conscience artificielle, le problème de la reconnaissance de l’ennemi, le parallèle sur l’absence d’empathie des réplicants et des hommes, etc., jusqu’à la question ultime : y a‑t-il d’autres personnages qui seraient des réplicants sans le savoir ? Cogito ergo sum, okay, mais est-ce suffisant pour se connaître soi-même ?
Semer le trouble dans l’esprit du spectateur est en fait un petit jeu auquel se sont livrés les auteurs, en particulier dans la présente version (celle sortie au cinéma souffrait d’un « happy end » qui tombait comme un cheveu sur la soupe). Et trouver des réponses n’est pas aisé, surtout avec le « cut » final placé pile au bon endroit, juste après que Deckard semble changer d’avis — mais sur quoi ?
Dans l’ensemble, Blade runner est donc appelé à faire réfléchir, sur l’histoire contée elle-même bien sûr, mais aussi et surtout sur le reste : la nature des personnages, la limite de l’humanité, l’évolution à venir de la planète…
Dès lors, il est un reproche difficile à évacuer : oui, c’est un film intello, bourré de symbolique et de fausses pistes. Il est classé dans les films d’action, bien sûr, mais en dépassant très largement de sa case, au point sans doute de pouvoir aisément perdre les amateurs de bourrinage rythmé.
Mais bon, se décrasser les neurones et se faire un film qui ne pré-mâche pas tout, de temps en temps, ça fait du bien aussi.