Detachment
|de Tony Kaye, 2011, ****
Comment supporter des élèves qui vous méprisent et vous crachent à la gueule ? Des parents hystériques parce que vous avez osé recadrer leur progéniture ? Des collègues las ou cyniques ? Une administration qui vous met la pression parce que vos cancres n’ont pas de bons résultats ? Un monde où des gamines de quinze ans font le trottoir ?
Le détachement, c’est la clef, pour M. Barthes, prof remplaçant qui n’accomplit que des missions de quelques semaines — assez pour enseigner, pas assez pour s’attacher. Et qui le dit d’entrée à l’élève qui tentait de marquer son territoire : « ce cartable ne ressent rien, tu peux le jeter comme tu veux sans lui faire mal ; moi, c’est pareil, rien de ce que tu feras ne pourra m’atteindre ».
Anti-héros, observateur passif, prof détaché et morne, cette position est-elle tenable ? Un jour ou l’autre, on finit toujours par être touché par quelque chose…
Il est difficile de parler de Detachment, le film étant une galerie de portraits, une suite de scènes ordinaires ou non, qui illustre finalement la dépression systémique de la société à travers le mal-être généralisé de profs, de parents et d’élèves. La référence à L’étranger n’est pas seulement explicite ; on retrouve l’ambiance morne, posée et vaguement désespérée du roman de Camus, avec tout de même une version plus positive des choses — le sursaut d’humanité ne consiste pas, ici, à buter quelqu’un au hasard sur une plage.
Mais le plus réussi du film n’est pas Barthes, qui n’est au fond qu’un témoin désabusé avançant par inertie ; ce sont les autres, les vivants, qui essaient de le faire réagir ou plus égoïstement de mener leur propre barque. On ne trouvera pas ici de solution, juste des humains ordinaires qui, parfois, réagissent humainement. Pas de mode d’emploi non plus. Pas de tape-à-l’œil comme le même Kaye a pu le faire dans American history X, mais la même volonté de ne pas donner de réponse claire à son spectateur : « tu te demandes si mon héros est sympa ou pas, si la petite pute est égoïste ou touchante, si la directrice est guindée ou éthique, si l’infirmière est hystérique ou engagée ? Ne compte surtout pas sur moi pour te le dire… »
Le résultat est touchant, troublant aussi au moins pour qui s’est trouvé des deux côtés du fossé enseignant-élève (et l’ouverture, sur pourquoi tel et tel sont devenus profs, fait remonter pas mal de choses chez moi qui ne le suis point devenu), et fait poser plein de questions auxquelles chacun devra trouver ses propres réponses. C’est donc très bon pour le cerveau, même si quelques clichés ambulants (Meredith, bon Dieu, fallait-il qu’elle les accumule tous ?) viennent fragiliser le propos.