Le trône de fer
|de David Benioff et Daniel Weiss, depuis 2011, ****
Être un grand soldat fait-il de vous un grand roi ? On peut en douter, quand on voit l’état de délabrement physique et moral de Robert Baratheon, roi des sept royaumes du continent ouest. Isolé dans une cour où règnent les complots, il fait venir un vieil ami, Eddard Stark, pour être sa « main », l’exécuteur des ordres royaux. Loyal, attaché à l’honneur, à la droiture et à la justice, celui-ci semble mal barré pour s’imposer à la cour, tandis qu’un long hiver s’annonce au nord et que les héritiers de l’ancien roi, exilés sur le continent est, complotent leur retour…
Bon, Le trône de fer (distribué parfois sous son titre original, Game of thrones) est, disons-le, bien fouillis. Il faut largement la moitié de la première saison pour mettre en place les nombreux personnages, leurs relations complexes et fluctuantes et leurs caractères instables. C’est la force d’une série où les personnages vraiment positifs ne sont pas nombreux — on pourrait noter les enfants derniers-nés d’Eddard, mais ce serait oublier que l’une a un caractère particulièrement belliqueux et que l’autre ne manque pas d’arrogance avant de tomber d’une tour — et où tout est en demi-teintes, de trahisons plus ou moins attendues en surprenantes crises de loyauté. Il faut donc un peu s’accrocher pour suivre ce qu’il se passe, les nombreuses histoires parallèles et leurs multiples collisions.
Mais la série a aussi d’autres grandes qualités. Les acteurs tout d’abord, outre qu’ils ont des accents britanniques qui changent agréablement du new-yorkais standard habituel dans les séries américaines, ont aussi des attitudes et des jeux qui changent agréablement du formatage de l’actor’s studio. Leur sobriété générale et leur introversion collent parfaitement à l’ambiance noire, dure et déprimée de la série et à la froide détermination de leurs personnages, qui sont rarement de grands émotifs.
On peut dire la même chose de la photo et des décors, qui collent à la température et à l’ambiance : la saleté omniprésente presque jusqu’à la cour, les jeux de lumières chaudes ou froides soulignant un climat désertique ou scandinave, tout est raccord avec le propos.
La réalisation, de même, se veut réaliste : le sang est un truc épais et poisseux qui gicle ou colle, les plaies peuvent grouiller de vermines et les héros sont tristes et fatigués après une bataille. Et quelle que soit l’élégante grande gueule d’un personnage, quelques jours dans un cachot lui feront à la fois fermer son clapet et perdre son brushing.
Au global, même si certains retournements sont un peu prévisibles et même si l’on aurait pu apprécier une psychologie un peu plus creusée, Le trône de fer se tient fort près de l’inattaquable lorsqu’il s’agit de dépeindre des gens honorables ou arrivistes, effrayés ou téméraires, mâles ou femelles, brefs, humains ou humains. Il y a cependant une faiblesse inhabituelle : une mise en place très longue, qui semble en fait s’étendre sur l’ensemble de la première saison, de sorte que celle-ci se termine au moment où les énigmes en cours sont le plus épaisses, où l’ambiance est la plus tendue et où l’on veut le plus voir la suite. La frustration qui en résulte est proportionnelle à l’intérêt que les auteurs ont bâti, et j’avoue me demander si je ne risque pas de bouder la deuxième saison juste parce que je n’aime pas être ainsi coupé en plein élan.
En somme, David, Daniel, vous êtes de très belles allumeuses.