Au-delà
|de Clint Eastwood, 2010, ****
À 80 piges, après l’avoir longtemps administrée sans arrière-pensée (l’homme sans nom, Harry Callahan), puis à contre-cœur (William Munny), puis y avoir renoncé (Walt Kowalski), Eastwood s’interroge enfin sur la mort. C’est le sujet de Au-delà, qui conte les destins éloignés mais convergents d’une journaliste française victime d’une expérience de mort imminente, d’un gamin anglais dont le frère est accroché par un fourgon et d’un médium américain qui fuit son don.
J’avoue avoir douté. Un film américain où la question « qu’est-ce que la mort, et après ? » est centrale, ça a trop souvent tendance à tourner au « Dieu vous aime, il y pourvoiera ». Les exceptions, c’étaient Ghost pour la comédie, Always pour la tragédie, et c’est à peu près tout.
Mais Clint (ou plutôt son scénariste, Peter Morgan) ne se contentera pas d’une réponse aussi simpliste. Les religions, en particulier, sont immédiatement évacuées comme incompétentes à gérer la question — avec, au passage, un joli renvoi dos à dos de l’Islam et du Christianisme qui ne manquera pas de faire tousser certains disciples de la famille Bush. Et la réponse, donnée par un médium désabusé, reste comme pour tout le monde : « je ne sais pas ».
Après, ce qui fait que cela fonctionne, c’est comme d’habitude la sobriété formelle de Clint, qui s’efface au profit de son film. Rien que la scène du tsunami, par exemple : chez un Bay ou un Emmerich, ça aurait pété dans tous les sens, on aurait eu des vitres de bagnoles pulvérisées qui pleuvent sur les personnages, des bâtiments qui explosent sous la dépression, des torrents de feuilles de palmiers, des troncs qui cassent en gros plan dans un grondement de tonnerre, une vague énorme qui domine l’horizon, des tourbillons de la taille d’un terrain de foot… Ici, on a « juste » un raz-de-marée : une vague de quelques mètres mais qui, poussée par son inertie, continue au sol en soulevant et en arrachant ce qu’elle trouve. Pas de détonations monstrueuses, pas de bruits assourdissants, « juste » un truc puissant, inexorable. Pas d’effet de folie, une réalité brute.
Autre exemple : pas besoin d’en faire des tonnes pour expliquer que le médium considère son don comme une malédiction. Pas besoin de revenir dessus pendant des heures, ou de le faire bavarder en larmoyant. Quelques plans soignés, une excellente performance de Matt Damon, une apprentie cuisinière, et le tour est joué : l’isolement du bonhomme, la pénibilité de ce qu’il voit à chaque contact avec un autre sont là.
Cette sobriété permet de se concentrer sur la narration, et les personnages. Qui sont, retenez bien ce mot, ordinaires. Pas de super-héros omniscient, pas de génie absolu. Le médium voit des choses, certes, mais ne sait ni d’où ça vient, ni comment le contrôler. La journaliste a son charisme, certes, et un putain de caractère de merde de femelle arriviste qui marche sur les autres aussi (au passage, Cécile de France m’a toujours mis les nerfs avec son phrasé parigot¹ et son espèce d’arrogance naturelle, mais dans le cas présent ça va super bien au personnage), mais elle ne peut faire fléchir son rédac’chef ou son éditeur… Là encore, des pans de réalité, comme pour mieux ancrer une histoire profondément paranormale.
Au final, Au-delà n’a pas la force émotionnelle d’un Gran Torino ou d’un Million dollar baby. Mais ça reste très recommandable, bien foutu jusqu’aux petits détails (non, la DDASS anglaise n’est pas un ramassis de monstres qui ne font rien qu’à voler des enfants à leurs familles), superbement photographié (Tom Stern, directeur photo attitré de Clint depuis Créance de sang et toujours aussi admirablement excellent) et joliment écrit — avec une structure convergente d’histoires séparées, superbement gérée.
Bref, même si c’est un Eastwood ordinaire, c’est un bon film.
¹ Oui, je sais, elle est Namuroise. Mais elle a bien pris l’accent au cours de la quinzaine d’années qu’elle a passées en France…