Machete

de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis, 2010, ****

Machete. Il a peut-être un nom, mais on l’ap­pelle de celui de son arme favo­rite. Machete, sorte de Harry Callahan mexi­cain, fon­ceur, expé­di­tif, violent, et pour son mal­heur incor­rup­tible, qui échoue dans les bas-fonds d’un Texas raciste donde se debe hablar inglés. Trois ans de végé­ta­tion, puis il se fait embau­cher pour des­sou­der un séna­teur sor­tant, se fait dou­bler… et va cher­cher à s’en sortir.

Robert Rodriguez, pour ceux qui ne le sau­raient pas, est un pote à Quentin. Quentin qui ? Tarantino, bande d’in­cultes, dieu par­mi les dieux, immor­tel par­mi les immor­tels. Au point, d’ailleurs, que celui-ci a diri­gé quelques scènes du Sin City de celui-là. Oui, pasque Robert est fan de cinoche ET de comics, et avait co-réa­li­sé la magis­trale adap­ta­tion de l’œuvre majeure de Frank Miller. Et comme son pote Quentin et les givrés Joel et Ethan, Robert fait par­tie des réa­li­sa­teurs qui osent, qui décom­plexent, moder­nisent et dépous­sièrent le ciné­ma amé­ri­cain, et ça lui fait un bien fou.

Machete, c’est ça. Un gros comics moderne, façon Sin City ou Kick-Ass, assai­son­né à la tabas­co, avec des images qui bougent et des acteurs qui cognent. C’est trash quand il faut — vous vous sou­ve­nez for­cé­ment de l’i­nou­bliable scène où Kick-Ass se fait poi­gnar­der ? Ben pareil —, esthé­ti­co-gore quand il faut aus­si — avec quelques clins d’œil aux 88 fous que la Mariée se fait au sabre —, tota­le­ment et réso­lu­ment déjan­té… On est dans un monde de fan­tai­sie où tout est pos­sible, blin­dé de réfé­rences (de Rambo : la mis­sion à Piège en haute mer, Robert a l’air de bien aimer les nanars tel­le­ment mau­vais que c’est des super comé­dies à voir entre potes avec une caisse de Pelforth), fun et décom­plexé au point que la pre­mière réac­tion après une blague n’est pas tou­jours de rire, mais par­fois de se dire « woh putain, ils ont osé ??? » (men­tion spé­ciale à April, qui fout en l’air les pro­jets de son entou­rage pour rai­sons nar­co­tiques, inter­pré­tée par… Lindsay Lohan).

C’est aus­si un film à gags, par­fois un peu plan­qués — à vue de nez, je dirais qu’à peu près la moi­tié de la salle n’a pas eu le temps de lire le pan­neau « entrée inter­dite, les contre­ve­nants seront abat­tus, les sur­vi­vants seront encore abat­tus » —, mais ima­gi­na­tifs et bien menés. Ces petits gags d’ar­rière-plan comme le côté gore et le gai détour­ne­ment du chris­tia­nisme me font dire que si Rodriguez n’a pas encore ren­con­tré Maëster, il faut qu’ils trouvent une solution.

Dans le même temps, Machete n’est pas que ça. C’est aus­si, pro­fon­dé­ment, un film d’im­mi­grés, et Rodriguez en a pro­fi­té pour pla­cer deux tonnes de réfé­rences au racisme quo­ti­dien d’Américains « WASP », pas tou­jours très fine­ment mais par­fois assez déli­ca­te­ment. On peut ima­gi­ner qu’au « on leur fait tailler nos jar­dins, tenir les caisses de super­mar­ché, vider nos pou­belles, gar­der nos gosses, mais on les accepte pas dans notre pays », un Texan ponc­tuel pour­rait éven­tuel­le­ment se dire « au fait, c’est vrai, pour­quoi ? ». Les fachos divers ont plein de bonnes rai­sons de mal le prendre, qu’il s’a­gisse de ceux qui ver­ront au pre­mier degré tous les sté­réo­types (lati­nos, WASP, infir­mières…) ou de ceux qui pren­dront mal la légi­ti­ma­tion de l’im­mi­gra­tion. On les trouve d’ailleurs tous en train de pleu­rer sur les forums d’IMDB, ce qui est géné­ra­le­ment signe d’un bon film (cf. Droit de pas­sage).

Au glo­bal, Machete est donc sym­pa, jouis­sif, un peu trans­gres­sif, mené tam­bour bat­tant, bref, excellent.