Droit de passage
|de Wayne Framer, 2009, ****
Histoires croisées sur l’immigration, autour d’un flic des frontières de Los Angeles. Une famille qui obtient sa naturalisation, la lutte d’une fille libérée contre ses parents traditionalistes, une gamine immigrée iranienne qui ose poser la question interdite « pourquoi les terroristes du 11 septembre 2001 ont-ils agi ? », une bimbo australienne qui veut réussir à Hollywood, une expulsée mexicaine dont le fils n’a pas été arrêté et se trouve seul aux États-Unis…
Pas facile de faire un film façon « destins croisés » sans s’y perdre. On se souvient par exemple du Babel de González Inárritu, qui peinait à s’en sortir en mêlant parfois artificiellement des histoires qui n’avaient au fond rien à voir. Ici, on retrouve un peu cette faiblesse, mais globalement, on a tout de même un point de vue dominant : celui du vieux flic blasé et fatigué, exacte antithèse d’Indiana Jones (et franchement, Harrisson Ford commence à être carrément mieux en vieux blasé qu’en jeune aventurier), qui a un peu trop tendance à écouter les arguments des clandestins qu’il arrête mais tente quand même de faire son boulot honnêtement. Ça donne au film une certaine consistance, et lui permet d’enchaîner les scènes sans avoir besoin de forceps.
Globalement, on a une variété de propos assez vaste sur l’immigration clandestine aux États-Unis, mais aussi sur la tricherie qui l’accompagne et les abus permis à ceux qui valident ou rejettent les dossiers de migrants, et l’on ne parle pas forcément d’habitants du tiers-monde mais aussi d’individus éduqués originaires de pays riches à qui l’on a fait miroiter toute leur enfance un rêve américain, et qui finalement sont peut-être les plus cyniques à l’heure de s’intégrer — ils ont la culture pour mentir sur un CV ou chercher une fausse carte verte, que n’ont pas les Mexicains illettrés.
Finalement, d’après une entrevue que j’ai entendue d’Alice Braga¹, l’objectif du film n’est pas de plomber la police des frontières, qui de fait n’est pas montrée sous un jour spécialement négatif, ou de remettre en cause la gestion de l’immigration par les États-Unis, mais plutôt de faire prendre conscience aux gens qu’il s’agit d’un problème humain et non seulement comptable. Avec ces portraits de gens plus ou moins paumés, plus ou moins intégrés, ayant plus ou moins réussi et même se sentant plus ou moins américain (rappelons tout de même que rares sont les « Américains » actuels ayant ne serait-ce qu’un ancêtre américain il y a deux siècles), on peut gager le pari est gagné. Et il y a au moins une scène, particulièrement bien jouée, où l’on voit naître sur un visage la haine anti-Américaine et qui pourrait à elle seule montrer pourquoi il faut être très prudent lorsqu’on charge une administration de traiter de problèmes humains…
Et puis bon, ce film a au moins une qualité énorme : il a fait hurler les fachos WASP qui le taxent de « propagande gauchiste », les fachos islamistes qui le qualifient de « anti-musulman », les fachos sécuritaires² qui lui reprochent d’envisager une seconde qu’il y a quelque chose à comprendre chez un terroriste… Un film qui énerve autant de crétins ne peut pas être totalement mauvais.
¹ Actrice brésilienne devenu star américaine, particulièrement mise en avant pour la sortie française parce que star du blockbuster Prédators, apparu la semaine dernière dans nos contrées.
² « [Les commandos du 11 septembre] étaient des psychopathes, des meurtriers sadiques, des rebelles fanatisés et des couards », voire « nous avons ASSEZ de prétendus voisins du Sud et d’en dessous », nous expliquent des types sur IMDb qui auraient sans doute quelque chose à apprendre d’un bon gros cours d’histoire ou même d’un dictionnaire…