Malcolm
|de Linwood Boomer, 2000–2006, ****
Aujourd’hui, c’est un défi personnel que j’essaie de relever. Je n’ai en effet jamais réussi à expliquer clairement ce que pouvait être Malcolm ni pourquoi j’adorais cette série, dont je viens de me taper les sept saisons en deux mois. Peut-être parce que j’ai cette terrifiante impression que Malcolm est le personnage de fiction qui me ressemble le plus. Peut-être parce que c’est difficile de prendre ça pour un encouragement. Peut-être aussi parce que cette ressemblance du personnage n’a rien à voir avec la situation dans laquelle il est.
Malcolm est un gosse très intelligent, troisième d’une fratrie de quatre garçons (cinq après la troisième saison), tous plus tarés les uns que les autres. On a donc dans l’ordre Francis, qui vient d’être envoyé dans une école militaire lorsque l’histoire commence après avoir fait la connerie de trop — un truc à base de voiture brûlée ou de jets de bouses sur des flics, je sais pas. Reese, qui a découvert que dans la vie, si on tape assez fort, on n’a pas besoin de se fatiguer à réfléchir : on trouvera toujours quelqu’un pour le faire à sa place. Malcolm, qui vient d’être admis dans une classe de surdoués surnommés les « têtes d’ampoules » par le reste du collège mais qui se considère lui-même comme trop normal pour faire partie de ces monstres tous peu ou prou autistes (le mot qui va bien, c’est “freaks”, je vois pas de traduction qui reprenne le même sens). Et enfin Dewey, qui a développé dans la vie une sorte de fatalisme — de toute manière, les trois premiers tapent, faut faire avec — et, par moments, une stratégie de survie à base de manipulation — si les trois premiers se tapent entre eux, je suis tranquille. On ne connaît jamais vraiment Jamie, qui naît en plein milieu de la série et n’a que quatre ans à la fin, mais sa propre stratégie de survie est un don pour l’évasion et un mutisme résolu et total, et l’on apprend au passage qu’à moins de deux ans, il est le plus jeune de la famille à essayer de tuer sa mère et, en plus, celui qui est le plus près d’y arriver.
Pour gérer ces quatre tarés et demi, on trouve Lois, mère autoritaire, caractérielle, incapable d’admettre le moindre tort et incapable de céder dans une escalade de la connerie — ce qui explique sans doute en grande partie à quel point ses rejetons sont réfractaires à toute forme d’autorité et capables d’atteindre à chaque occasion des niveaux inédits de stupidité butée. Et Hal, qui est sans nul doute le plus puéril de la famille, susceptible de s’acheter un jacuzzi ou d’abandonner son métier de comptable pour se lancer dans l’art abstrait parce que ça lui a pris, là, comme ça. Le seul, également, à montrer occasionnellement un véritable enthousiasme pour quelque chose qui n’implique pas de mettre en danger la vie de son entourage.
Malcolm est le narrateur de l’histoire, et ses nombreux apartés avec le public (l’action est interrompue le temps qu’il explique ce qui lui trotte dans la tête, au contraire de ce qui se passe dans Scrubs où JD narre sa vie pendant que l’action continue, donnant des « mince, je l’avais pourtant noté : ne jamais rêvasser en courant ») sont à la fois l’occasion de moments philosophiquement étonnamment poussés et de jeux cocasses où il fait l’aller et retour entre explication et action, commentant au fur et à mesure l’évolution des événements.
L’ensemble de la série est bourrée d’un mauvais esprit assez réjouissant et n’hésite jamais à attaquer sans finesse aucune (« dans le pire, c’est moi le meilleur », comme disait Michel) la société occidentale et les mœurs de nos congénères. Par exemple, un pique-nique entre voisins, merveilleux moment de feinte amitié et d’hypocrisie maquillée visant à sceller les liens virtuels entre habitants d’un même quartier, deviennent pour les frangins une merveilleuse occasion d’étudier une méthode pour catapulter les couches de Jamie sur l’assemblée.
Mais en même temps, certains morceaux de vraie philosophie sont l’occasion de mettre en perspective la vie de tout un chacun — enfin, de tout un moi en tout cas — et de développer plutôt finement des thèmes qui concernent plein de monde : les relations familiales bien sûr, nœud des problèmes de la famille (et la grand-mère, ah, la grand-mère !), mais également les relations professionnelles et ce qu’elles supposent d’entorses aux principes les plus fondamentaux, le mythe du self-made-man, le racisme ordinaire des bien-pensants, l’éducation, l’enseignement, le handicap, et même la religion — Lois est clairement athée et anticléricale, Hal est plus du genre à espérer passivement qu’il y a quelque chose après pour compenser la misère de ce monde, bref, des positions extrêmement rares dans les séries américaines où le christianisme va bien trop souvent de soi. La solitude est également un thème récurrent, de même que l’art de gérer tout en douceur un mélange de complexe de supériorité, de cynisme sans fond, de besoin de reconnaissance, de misanthropie naissante et de conviction profonde que tout va mal.
Finalement, la bonne façon d’expliquer pourquoi j’adore cette série, c’est peut-être ça : Malcolm, c’est moi, et je m’aime.
(NB : le premier qui me dit “Where’d you go, psycho boy ?”…)