C’est dur d’être aimé par des cons
|de Daniel Leconte, 2008, ***
Un type qui lit Charlie hebdo depuis le numéro 1 (de l’ère moderne, hein, je savais pas encore lire quand Choron a piqué sa crise à Droit de réponse, voir ici pour se rafraîchir la mémoire) ne peut pas vraiment se permettre de passer à côté de ce film. Donc, forcément, j’y étais.
Documentaire ? Euh… Ouais, admettons. À la Michael Moore, alors. Documentaire à charge, disons donc : on ne cherche pas à épuiser un sujet, mais à en présenter un aspect. Il serait donc sans doute intéressant de voir le même film, mais réalisé par Dalil Boubakeur.
Ceci étant, C’est dur d’être aimé par des cons remplit le contrat : présenter chronologiquement ce qui fut l’un des plus médiatiques procès de presse de ces dernières années, avec un enjeu qui dépassait largement Val, Cabu, Boubakeur, Charlie hebdo, la grande mosquée de Paris, l’UOIF et le tribunal. Il ne s’agissait en effet pas de savoir si la publication de dessins d’un journal danois et la une de Cabu étaient une insulte envers une population en raison de sa religion — je trouve extraordinaire qu’on ait même pu estimer que « Mahomet débordé par les intégristes » pût être une insulte envers tous les Musulmans : il attaque explicitement les intégristes, qui sont donc moins explicitement mais quand même clairement séparés des Musulmans. Il s’agissait de savoir s’il était permis de critiquer, voire d’insulter, une religion, qui est une qualité annexe et résultant d’un choix privé et non l’essence d’un individu.
En gros, pour résumer mon idée du truc : si c’est minable de dire « les nains sont des ordures », parce qu’ils n’ont pas choisi d’avoir la taille de notre président à nous qu’on a, dire « ceux qui votent Sarko sont des abrutis » est acceptable : on critique un choix, a priori fait par des individus responsables puisque doués du droit de vote. La religion est un choix personnel, qu’on a le droit de renier même si on a été élevé dedans, donc criticable à loisirs — même si je ne dirai jamais que les Musulmans, les Chrétiens, les Témoins de Jéovah ou les Hare Krishna sont des cons, parce que, comme pour les électeurs de Sarkozy, il y en a de très bien et de très nuls en proportions assez équitables.
Le film est donc un docu important pour l’Histoire, même si l’on ne peut s’empêcher d’être un peu étonné de le voir en salles. Car c’est typiquement le genre de truc qu’on peut d’habitude voir sur France 5 un soir où on se trompe de chaîne où ça parle d’un sujet qui nous intéresse.
Il n’est cependant pas sans faiblesse, et si certains passages assez humoristiques méritent vraiment le détour, on souffre également de quelques longueurs excessives. On peut par ailleurs lui reprocher le manque de mise en perspective : c’est un docu aride, dans le sens où il se contente de montrer une réalité (je ne dis pas « la réalité », notez bien), en laissant le boulot d’analyse au spectateur.
Mais c’est là qu’on peut en tirer des réflexions intéressantes.
Pour ma part, j’ai brusquement compris un truc essentiel de… Harry Potter. Vous savez peut-être que Joanne Rowling a été inscrite sur la liste des livres pas bien pour son œuvre d’incitation à la sorcellerie et à la rébellion contre l’autorité, et que toute sa réaction a été d’exprimer sa fierté de se retrouver sur la même liste que Salman Rushdie.
Pour bien saisir le truc, je vous renvoie à Le prisonnier d’Azkaban, troisième tome de Harry Potter, correctement adapté au cinoche par Alfonso Cuarón (je précise pour ceux qui trouvent fatiguant d’ouvrir un truc en papier). On y découvre, entre autres, l’épouvantard, une bestiole polymorphe qui prend systématiquement la forme de ce qui pourra le mieux vous effrayer. Il existe un sortilège pour s’en débarrasser mais, comme l’explique le meilleur prof de Défense de l’histoire de Poudlard, « ce qui fait fuir un épouvantard est le rire ».
C’est exactement ce que fait Charlie. Les intégristes nous font peur ? Moquons les intégristes, vilipendons-les, faisons marrer le monde avec eux. Les politiciens véreux nous font peur ? Faisons-leur une grimace ignoble pour dédramatiser la situation. Et avec un peu de bol, soit on les décoincera (hypothèse utopiste) et ils arrêteront leurs conneries, soit (hypothèse plus raisonnable) les gens arriveront à relativiser leur pouvoir et à ne plus se laisser terroriser.
Jusqu’ici, je n’avais pas vraiment réfléchi à pourquoi j’aimais me moquer de Nabotléon Ier, directeur actuel de notre présipauté. Je me disais vaguement que c’était une histoire de plaisir de transgression : se moquer des puissants pour oublier qu’ils sont puissants. Mais en fait, c’est un peu plus poussé que ça : s’en moquer réduit leur importance. La vérité, c’est que Sarko me terrifie au moins autant que Ben Laden, parce que celui-ci peut au pire massacrer quelques milliers de bonshommes, détruire des immeubles, des villes mêmes, tandis que celui-là a le pouvoir réel et complet de faire de notre vie ce qu’il veut, en supprimant les aides sociales, en ordonnant une mobilisation, en se tricotant des lois sur mesures (des petites lois, donc) puisqu’il a un parlement à sa botte et une opposition trop occupée à savoir qui est la plus belle*, ou en prenant tout simplement le pouvoir. Je n’exagère même pas, voyez l’article 16 de notre Constitution sur les pouvoirs exceptionnels conférés au Président pour prendre les mesures exigées par les circonstances.
Me moquer de notre président et de ses alter ego de gauche comme de droite, c’est une façon de désarmer la terreur, et c’est essentiel à mon équilibre psychique (enfin, ce qui en tient lieu).
L’autre aspect très intéressant du film, c’est que si Leconte n’a pas pu pénétrer dans l’enceinte du procès (les autorisations à filmer un procès se comptent sur les doigts d’une main tout au long de l’histoire, et Depardon a déjà rempli le quota pour cette décennie avec Xè chambre, instants d’audience), il a beaucoup traîné dans la salle des pas perdus. L’endroit où l’on voit les excités de tous bords s’invectiver et se balancer des horreurs à la figure parce que aucun ne veut faire l’effort de réfléchir à son propre ressenti, ou tout simplement d’éviter de gueuler et de répéter vingt fois la même chose.
C’est absolument pathétique, et tout ce qu’ils arrivent à faire, c’est à ridiculiser leur propre parti, de même d’ailleurs que les terroristes de tout bord qui luttent « pour la cause de [nos] frères » ne font rien sinon entraîner les cons à les amalgamer à tout un tas de gens bien et donc encouragent le racisme dont ils disent souffrir.
L’autre truc qui m’a marqué, outre la présence très… présente de Caroline Fourest, c’est à quel point Dalil Boubakeur présente un visage différent quand il est peu ou prou en privé (grosso modo, un type ouvert et posé, qui discute calmement et cherche à comprendre et expliquer) ou plutôt en public (le film reprend notamment son intervention avec Val au 13 heures de France 2, qui avait dégénéré en double monologue incompréhensible de part et d’autre et n’avait à mon sens grandi ni la mosquée de Paris, ni Charlie hebdo).
Au final, le film est intéressant plus qu’enthousiasmant, remplit le contrat, forme un document à conserver précieusement sur des événements qui pourraient se révéler très importants, manque un poil de profondeur de temps à autres, mais mérite d’être vu.
- Avant que la communauté homosexuelle ne vienne m’accuser d’homophobie pour cet adjectif féminin appliqué d’une part logiquement à Ségolène Royal, d’autre part plus ironiquement à Bertrand Delanoë, je précise que ces deux-là et les restes des autres dirigeants du parti auto-proclamé socialiste me terrifient aussi par leur capacité à détruire durablement toute opposition crédible au gouvernement actuel, démontrée jour après jour depuis l’éviction de Lionel Jospin de la liste des candidats à la présidence. Il ne faut donc rien y voir de plus méchant envers les homosexuels qu’envers les personnes de moins d’un mètre quatre-vingts lorsque je raille la taille de notre hyperactif dont la tête sent les pieds tellement qu’il est grand.