Corporate
|de Nicolas Silhol, 2016, ****
Un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté : c’est ce que coûte, au minimum, un licenciement à une entreprise. Au minimum parce que, si l’employé n’a pas commis de faute, il peut négocier. Pour des gens qui sont là depuis longtemps, on arrive vite à des sommes ahurissantes, genre… Ouais, deux ou mois de salaire, quoi.
Pas de quoi fouetter un chat dans une boîte de plusieurs centaines d’employés ? Vous plaisantez ? Bien sûr que c’est important ! On va quand même pas payer des gens dont on veut se débarrasser ! Il est bien plus intéressant de payer un salaire à une nettoyeuse, professionnelle chargée de pousser méthodiquement les gens à la démission.
Le problème, c’est que l’humain n’est pas une science exacte. Et parfois, au lieu de craquer et de faire une faute, ou d’abandonner et de démissionner, l’employé se jette dans le patio depuis le quatrième étage, trente secondes après avoir parlé avec son chef de service. Et la nettoyeuse, jusqu’où acceptera-t-elle de se salir pour couvrir la direction ?
La première moitié de Corporate est cynique. Les gens qui savent sont complices, les autres sont ignorants, l’inspectrice du travail se fait claquer porte sur porte en pleine gueule — mais toujours avec la courtoisie caractéristique des grandes entreprises. La description du mécanisme de réduction du personnel fait froid dans le dos à quiconque a déjà eu le malheur d’être salarié (oui, dans le cas présent, c’est un malheur), et la principale qualité du film est de ne pas en faire trop : au contraire, il reste parfaitement solide, sobre, crédible, bien campé sur des fondations connues et réalistes.
La seconde moitié est un peu moins maîtrisée. Le personnage principal s’égare et doute, mais du coup le cinéaste aussi. Il ajoute des scènes à l’utilité discutable et ne sait plus s’il raconte une histoire sur le harcèlement en entreprise, sur l’hypocrisie de la « gestion des ressources humaines » ou sur les lanceurs d’alerte et l’inspection du travail. Ça reste bien fait, mais un auteur doit parfois faire des choix et, ici, Nicolas Silhol semble avoir voulu tout mettre, quitte à perdre son angle et son point de vue.
L’ensemble reste hautement recommandable et devrait faire partie du tronc commun dans toutes les écoles de RH : oui, certains comportements peuvent avoir une qualification judiciaire qui emmènera personnellement au pénal — et qui ne tapera donc pas seulement les comptes de la personne morale qui vous emploie. Les petits faiblesses de la seconde moitié restent mineures, la dénonciation (quoiqu’un peu facile) est édifiante et implacable, les personnages sont tous détestables mais tous fascinants. Au bout du compte, les sueurs froides que l’on a en sortant sont encore de Silhol.