Passengers
|de Morten Tyldum, 2016, ****
Dans un astronef de transport, passagers et membres d’équipage sont en hibernation. Sauf un. Un passager réveillé neuf décennies trop tôt, seul dans ce paquebot lâché dans le vide.
Oui, voilà. Vous avez le fils naturel de Seul au monde et d’une partie du deuxième volume de Bételgeuse (la BD de Leo), dans un décor inspiré de La croisière s’amuse et de tous les films de SF des quarante dernières années.
Pourtant, ça passe bien. L’équilibre entre comédie et drame est franchement réussi, avec un androïde de bar jouant à la fois sur le drôle et le tragique, un hommage grinçant à la lutte des classes sur le Titanic (oui, même sur les voyages interstellaires, il y a les passagers de première et les autres…), et des scénaristes qui aiment bien parfois retourner leurs idées comme des crêpes — le technicien qui, enfin, devrait pouvoir faire quelque chose, n’a pas tout à fait le futur qu’on attendait de lui…
Sur le plan technique, l’œuvre est soignée du côté cinématographique : scénario, montage, réalisation sont des pièces d’orfèvrerie, bien aidées par un trio d’acteurs en très grande forme. Oui, Chris Pratt est convaincant. Je sais, ça fait un choc. Le personnage qui lui est proposé est, il faut dire, bien fichu, avec un côté The last man on Earth et un vrai enjeu moral au début — vivre et crever seul ou attirer quelqu’un dans sa galère ? Certains éléments sont du pur génie de cinéma, comme la première sortie extra-véhiculaire ou surtout le moment où la gravité artificielle est perdue alors que l’héroïne est dans la piscine (on en voit une seconde dans la bande-annonce, mais la scène du film reste un sommet d’angoisse). Le bouquet final est en revanche un poil déjà-vu et les retrouvailles sont moins bien foutues que dans Seul sur Mars…
Ce qui est plutôt logique : contrairement à lui, Passengers est aussi peu soigné sur le plan scientifique que travaillé sur le plan cinématographique. Ici, on utilise plutôt la SF comme un cadre pour un huis-clos comique/tragique/sentimental assez classique, et on se préoccupe peu de réalisme technique. Les auteurs n’ont ainsi pas compris que le seul intérêt de faire une couronne rotative sur un vaisseau spatial est d’utiliser la force centrifuge pour créer une gravité. Donc, si on y met une porte pour une sortie extra-véhiculaire, l’astronaute ne va pas flotter gentiment, mais tomber jusqu’au bout du câble, qu’il atteindra après l’équivalent d’une chute libre sans frottement — il va donc y laisser un paquet de côtes. Et quand on flotte librement, il n’y a absolument aucune raison pour qu’une larme coule vers le bas de la joue : elle va plutôt former une bulle là où elle apparaît, comme exactement 100 % des liquides lâchés en apesanteur. Plus gênant encore : si l’on coupe l’alimentation, la couronne va forcément continuer à tourner un moment sur son inertie. La gravité ne va donc pas y disparaître instantanément. Voilà, la scène de la piscine, qui est sans doute le principal chef-d’œuvre cinématographique du film, est également sa plus grande aberration technique !
C’est dommage parce que, ces dernières années, on s’est un peu habitués à revoir des films vaguement soignés sur le plan scientifique. Ici, les auteurs ont utilisé la forme du vaisseau pour quelques hommages graphiques à 2001, l’odyssée de l’espace, mais ils ont complètement raté que Kubrick et Clarke avaient choisi cette forme pour des raisons techniques. J’ai peut-être un esprit un poil trop cartésien, mais ce genre d’erreur monumentale me sort d’un film beaucoup plus efficacement qu’une bonne réalisation ne m’y plonge.
Le résultat est donc tout à fait recommandable, distrayant, entraînant, bien fichu, prenant : ça ne survole pas ses enjeux essentiels et c’est franchement bien joué. Le seul soucis, c’est qu’il faut pour en profiter parvenir à faire abstraction d’évidences techniques difficiles à oublier…