Captain America : civil war
|d’Anthony et Joe Russo, 2016, ****
Dans la large recréation de l’univers Marvel en cours, on a eu de tout : du film d’action bourrin, bien fichu mais sans une once d’originalité, du buddy-movie reposant sur des vannes basiques mais bien servies, de la SF grandiloquente, prétentieuse et égocentrique, du copier-coller foireux que même un acteur génial n’arrive pas à sauver… La plupart de ces films comportaient au moins une scène de destruction massive, impliquant de préférence une mégapole américaine : la stratégie des héros s’est plus d’une fois résumée à faire plus de dégâts que l’antagoniste, dans l’espoir que celui-ci soit distrait de n’avoir plus rien à casser et se laisse maîtriser ou détruire plus facilement. Les sommets, évidemment, sont la destruction de New York sous un trou de ver reliant Mitgard et Asgard et celle d’un morceau de terre et de tout ce qui vivait dessus en Sokovie.
Le truc amusant, c’est qu’à aucun moment quelqu’un n’a sérieusement demandé aux super-héros de rendre des comptes sur leurs destructions, d’analyser si leur riposte était proportionnée à la menace ou s’il était vraiment impossible de sauver la planète sans en bousiller la moitié. Je peux comprendre que les autorités aient du mal à juger un dieu asgardien, Banner pourrait bien être disculpé pour irresponsabilité pénale devant un expert-psychiatre, mais les autres devraient logiquement répondre de leurs actes. Or, le seul moment où leur responsabilité apparaît un minimum, c’est quand les massacres passés poussent un instable quelconque à vouloir les buter et à devenir un super-méchant. Les autorités, elles, regardent leurs villes réduites en cendres et en gravats, tapent dans le dos de Steve Rogers et font un hi-five à Tony Stark en disant « bon boulot, rentrez chez vous, on va reconstruire ça tranquillou ».
Si ça vous paraît bizarre, rassurez-vous : vous n’êtes pas le seul. Et après seulement douze films, cette question a même fini par arriver aux oreilles des scénaristes.
Si la guerre civile du titre fait référence essentiellement à l’affrontement au sein des Avengers entre deux factions — la version libertaire anarchiste menée par Captain America et la version régalienne étatique d’Iron man —, le cœur du film est en effet là : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités et, tout super-héros que l’on soit, on a des comptes à rendre.
L’autre élément central de l’intrigue est la spirale vengeresse brièvement entrevue lorsque les Maximoff avaient été séduits par Ultron. Le manque de transparence, la rétention d’informations, les dégâts collatéraux irresponsables et l’absence de toute conséquence aux actes des uns et des autres entraînent rétribution sur rétribution, frustration sur frustration jusqu’à monter tous les Avengers les uns contre les autres. Certains le gèrent relativement bien (Romanov et Barton, « on est toujours potes, hein ? » en plein milieu d’un échange de baffes), d’autres montent en pression jusqu’à l’explosion.
Enfin, depuis le temps que je reproche leur manque d’originalité aux films Marvel (super-héros, super-méchant, scènes qui pètent, éventuellement humour facile et pis voilà), il me faut bien dire que là, on sort un peu des sentiers battus du côté de la Némésis du film : pas de super-pouvoirs, pas de technologie sophistiquée, le personnage est un animal à sang froid plus proche du narrateur d’Inside man que de Loki ou Ultron.
Je n’ai pas encore touché un mot des aspects techniques. Il faut dire que ceux-ci sont sans surprise : les frères Russo ont déjà fait le précédent Captain America et le cahier des charges Marvel est suffisamment cadré pour ne pas sortir des clous. La tonalité globale est plus proche des Avengers de Whedon (un bon mélange d’humour décalé et d’action vive mais lisible) et, pour être tout à fait franc, le film est le troisième Avengers largement plus que le troisième Captain America — il n’est pas vraiment centré sur Rogers et élargit son casting à la quasi-totalité de l’univers Marvel, y compris quelques surprises récemment libérées par une révision de l’accord avec Sony Pictures. Le rythme est parfaitement géré, les effets spéciaux aussi, et le film ne se sent pas obligé de faire dans la surenchère permanente pour justifier son existence ; en fait, il est même quelque part plus sobre que beaucoup de précédents opus, limitant largement les destructions massive. Bon, on a quand même une tendance pathologique à bousiller les productions aéronautiques européennes (un Écureuil, ça se crashe, un Airbus A340, ça casse quand on s’assied dessus) et le placement produit est parfois un poil visible (laissez-moi deviner : Bell Helicopters a participé au financement ?), mais dans l’ensemble la technique remplit totalement le contrat.
Le bilan est donc totalement positif et, pour être franc, c’est une très bonne surprise : je m’attendais à une distraction honnête comme les précédentes aventures de Steve Rogers, mais c’est un Avengers avec un scénario un peu travaillé et un semblant de fond. Ça ne va pas bouleverser l’histoire de l’humanité, mais c’est franchement très agréable.