Le livre de la jungle
|de Jon Favreau, 2016, ****
Depuis quelques années, la maison Disney ne semble briller par son imagination : elle passe une bonne part de son temps à recycler les grands classiques de l’ère où Walt dessinait encore. Ça a donné un lot de suites plus ou moins oubliables (des trucs comme Fantasia 2000 et Peter Pan 2) et des remakes, notamment une série de copies filmées de dessins animés comme Les 101 dalmatiens et l’ignoble Cendrillon (suite auquel la simple mention d’un aliment sucré m’a fait vomir pendant une semaine). De temps en temps, le mélange des deux principes a permis de créer des trucs filmés prenant la suite de dessins animés, comme le Alice au pays des merveilles de Tim Burton, qui hésitait entre œuvre originale, suite et remake sans vraiment choisir — ni convaincre.
Le livre de la jungle de Reitherman fait partie des grandes réussites de Disney : il n’a quasiment rien à voir avec Le livre de la jungle de Kipling, mais il est sympa et reste un bon classique qui n’a pas trop mal vieilli et que, comme Les aristochats par exemple, je peux revoir avec plaisir. Ce succès devait forcément connaître les affres de producteurs cherchant la facilité : il a donc subi la suite embarrassante (Le livre de la jungle 2, que je verrai peut-être un jour) et le film hésitant entre remake et suite (Le livre de la jungle de Sommers, qui était une gentille bousette sans saveur). Il ne restait donc qu’à faire un vrai remake filmé pour qu’il devînt le premier classique à avoir bouclé la boucle ; et c’est Jon Favreau qui s’y est collé — le même Jon Favreau qui a pondu Iron man et Cowboys et envahisseurs.
Tout ça pour dire que quand on m’a annoncé que Disney faisait un remake « live » (mais avec plein d’images de synthèse pour les bestioles) d’un de ses meilleurs classiques, j’ai un sourcil qui s’est levé avec intérêt et l’autre qui a commencé à se froncer par réflexe, prêt à défoncer ce qui s’annonçait comme le troisième sacrilège touchant une œuvre qui méritait un certain respect.
Et bien, figurez-vous que c’est une bonne surprise : Favreau s’est retenu côté humour pataud, le scénario de Justin Marks est resté relativement fidèle au dessin animé mais ne lui a pas porté un respect religieux, et l’ensemble a su se sortir de l’ombre de l’aîné pour trouver sa propre voix et sa propre tonalité.
Le premier point notable, c’est que cette nouvelle version est plutôt sérieuse. On trouve toujours quelques gags, ainsi que de brèves reprises musicales comme simples clins d’œil à l’original, mais le film repose sur la nature de l’homme et l’incompatibilité entre celui-ci et la vie sauvage. Mowgli est certes accepté par la plupart des animaux, mais tous le surveillent en redoutant le jour où l’innocent gamin deviendra un homme, ce qu’ils ne peuvent imaginer autrement que comme un épisode de destruction. La séquence dans la cité perdue des Bandar-log est d’ailleurs intéressante sur le plan symbolique : par sa seule envie irrépressible de devenir homme, Louie entraîne la ruine de son riche univers et, au bout du compte, sa propre élimination.
Cette tonalité plus sérieuse se traduit aussi par une ambiance plus angoissante, l’apparition de Kaa étant un grand moment que les ophiophobes vont adorer. Celui-ci n’est d’ailleurs pas le clown qui court après Mowgli et rate son coup façon Bip-bip et le coyote, mais un animal fascinant et dangereux ; on n’est pas au niveau du Kaa de Kipling (c’est carrément un grand héros homérique des romans), mais c’est peut-être ce personnage passé du clown au prédateur qui résume le mieux l’évolution de l’ambiance entre dessin animé et film.
L’ensemble a bien entendu ses faiblesses, notamment le fait que l’acteur principal est aussi expressif qu’un Vin Diesel chloroformé et que son doubleur français lit son texte sur le ton de Pujadas donnant les chiffres du chômage en Moldavie. Mais c’est dans l’ensemble une bonne surprise, assez fidèle pour plaire aux fans de l’original tout en étant assez différent pour ne pas faire dans la redite.