Les agents du S.H.I.E.L.D.
|de Joss et Jed Whedon et Maurissa Tancharoen, depuis 2013, ****
Faire toute une série sur un lot d’agents, suivant la résurrection de Coulson après sa mort dans le premier Avengers, et se déroulant donc en parallèle des films de l’univers Marvel : tel est le défi un peu dingue qui préside à la naissance des Agents du SHIELD.
Je vais finir par croire que Joss Whedon a un talent particulier. Après avoir embauché son frère et sa belle-sœur, il définit une histoire blindée de clichés tant au niveau des personnages (la geekette de service, les scientifiques autistes de service que tout le monde confond, la mystérieuse ninja de service, le ténébreux combattant de service, le patron de service) que de l’histoire (le fil rouge étant la lutte contre Hydra, qui infiltre ses tentacules jusque dans le Shield). Et sur cette base foireuse au possible (mais au fond pas pire que l’idée de faire un western de SF, cf. Firefly et Serenity), les Whedon parviennent à créer un truc à peu près cohérent et franchement prenant.
Le secret est simple : comme d’habitude, Whedon n’utilise des clichés que pour les dynamiter, ce qui lui permet de prendre le spectateur à contre-pied et de relancer l’intérêt de son intrigue. Ainsi, l’héroïne qui s’en sort toujours sans dommage en murmurant à l’oreille des ordinateurs ou en souriant aux yeux des tueurs, et bien… elle se prend une paire de balles dans le bide, paf, comme ça. Les Anglais coincés et purement scientifiques, maladroits et incapables de tenir une arme, et bien, ils se révèlent plutôt utiles aussi sur le champ de bataille. Et le directeur solide, cintré dans son costume à la James Bond, finit par faire de l’humour potache guère plus distingué qu’un étudiant de fac de sciences.
Autre bonne habitude familiale : l’art de creuser les personnages, notamment féminins. Si quelques romances un peu maladroites viennent alourdir le propos, les femmes ne sont pas là que pour mettre les mâles en valeur et ont leurs propres envies, leurs propres initiatives et leurs propres objectifs, et elles ne sont ni plus ni moins importantes que les hommes. On note aussi une auto-dérision appréciable, placée presque systématiquement pour désamorcer les moments qui risqueraient de verser dans le gnangnan.
Enfin, on se rend compte dans les derniers épisodes (je n’en suis pour l’heure qu’à la première saison) que l’ensemble des pistes lancées de manière un peu disparate dans les heures précédentes se recoupent et fusionnent peu à peu ; même les deux fils rouges (la lutte contre Hydra et le mystère de la résurrection de Coulson) qui restent séparés presque jusqu’au bout finissent par avoir une relation. Quelque part, les Whedon font sur quinze heures ce que Spielberg avait fait sur les deux heures de son chef-d’œuvre, Rencontres du troisième type, et c’est une très bonne idée pour s’assurer qu’on suive avec attention.
Sur le plan technique, il n’y a pas grand-chose à signaler : c’est une série américaine de science-fiction, avec des moyens suffisants pour soigner les effets. Les acteurs font leur travail sans mériter d’éloge ni d’injure, la réalisation est efficace en toutes circonstances, le montage est plutôt nerveux mais pas précipité pour autant, la photo est ordinaire. Le truc le plus bizarre est finalement le « bus », le fils naturel d’un C‑17 et d’un Pou-du-Ciel : l’aile arrière étant quasiment sous le stabilisateur horizontal, elle doit logiquement annuler son effet (vu les winglets dont elle est équipée, elle est forcément porteuse) et l’appareil doit être sujet à des oscillations aérodynamiques quasi-permanentes ; en outre, les réacteurs postérieurs quasiment dans l’axe des réacteurs antérieurs ne doivent pas respirer beaucoup d’oxygène et ne servent donc qu’à alourdir la structure.
L’ensemble est donc une bonne série, rythmée, agréable, avec des personnages qui évoluent du statut de clichés ambulants à celui de constructions relativement soignées ; rien de bouleversant, mais une distraction tout à fait recommandable, pour ceux qui sauront oublier toute notion d’aérodynamique.