Mr Robot
|de Sam Esmail, depuis 2015, ****
Imaginez un type mal à l’aise en société, qui n’arrive à communiquer qu’avec une seule amie d’enfance, qui n’aime pas le contact des gens surtout quand ils sont nombreux, et qui passe le plus clair de son temps devant des écrans, au bureau comme à la maison. Un type qui ne s’intéresse aux autres que par ce qu’ils dissimulent et qui, du coup, préfère largement les surveiller sur leur ordinateur, via le système informatique de leur banque ou en espionnant leurs comptes Facebook, plutôt que les rencontrer en chair et en os. Un type vaguement autiste, franchement paranoïaque, dont les contacts sociaux se bornent à faire semblant de s’entendre avec le copain de son amie (même s’il sait qu’il la trompe, ce crétin ayant utilisé un mot de passe logique pour son smartphone), à échanger trois mots avec la voisine qui le fournit en morphine (dont le dealer est un vrai fils de pute si l’on en croit son compte Twitter) et aux séances hebdomadaire avec sa psy (qui a très mauvais goût en matière de mecs, comme en témoignent les messages qu’elle envoie à son amant et le fait que celui-ci ne l’ait pas informée qu’il était marié).
Imaginez que ce type bosse pour une boîte de sécurité informatique, que cette boîte dépende d’une énorme compagnie, que celle-ci ait camouflé des fuites toxiques dans les années 90. Imaginez que parmi les victimes de ces fuites, il y ait eu le père de notre informaticien. Imaginez qu’un groupe de hackers mystérieux le contacte pour lui proposer un plan un peu plus ambitieux que de sauver l’honneur de sa psy : faire tomber les bases de données centrales des banques, et réinitialiser ainsi les dettes de l’ensemble des citoyens.
C’est l’idée de base de Mr Robot, la série dont le héros est une caricature de no-life vivant par et pour l’informatique, qui va se découvrir un sens en aidant un mystérieux mentor à mener une révolution.
Dès l’épisode 2, on commence à entrevoir une tendance : Eliott, notre anti-héros du jour, est un peu comme le narrateur de Fight club, qui mène une vie morne et désabusée où il est conscient de nourrir une entreprise nuisible, jusqu’au jour où il rencontre son Tyler Durden — le fameux M. Robot, un anar un peu psychopathe qui veut mettre à bas la société telle qu’elle est. Ce n’est pas le seul élément du bijou de Fincher qui a été repris : la voisine / dealeuse / copine n’est pas sans rappeler Martha, et la présentation du grand projet de M. Robot s’inspire évidemment de celle du projet Chaos ; c’est presque une transposition dans l’univers informatique qui nous est ici proposée. Ce n’est toutefois évidemment pas la seule source d’inspiration : Tyrell, vice-président du département technologies, arriviste, obsédé par les apparences, soucieux des détails et parfois sadique et violent, rappelle furieusement ce bon vieux Bateman, le héros-narrateur de American psycho, et on trouve des bouts de Matrix, de V pour Vendetta (via les Anonymous bien sûr), ainsi que des influences kubrickiennes dans la composition et la narration.
Est-ce à dire que Mr Robot n’est qu’une reprise d’éléments déjà vus ? Honnêtement, ça n’est pas tout à fait faux. La principale originalité de la série, c’est que contrairement à l’immense majorité des productions audiovisuelles impliquant des hackers, elle repose sur des bases à peu près correctes sur le plan informatique — pas d’aperçus de codes pris au hasard, pas de magiciens capables de faire n’importe quoi à distance, pas de pare-feu vus comme des forteresses à faire tomber au bélier, mais du WireShark, du Kali Linux et des attaques par dictionnaire. En dehors de cela, certains éléments sont franchement prévisibles, y compris le grand retournement qui est en fait annoncé dès l’épisode 2 et ne devrait surprendre personne.
Mais en multipliant les références pour les geeks de ma génération, en plongeant profondément dans les maux de l’actualité (Occupy Wall Street et les autres mouvements du même style sont au cœur du discours) et en conservant de bout en bout un rythme et une ambiance parfaitement maîtrisés, Mr Robot ne lâche pas ceux qu’elle aura accrochés avec son premier épisode — l’une des meilleures entrées en matière qu’on ait vues ces dernières années. L’originalité n’est pas sa qualité dominante, mais tout ce qu’elle présente, qu’il s’agisse de choses essentielles comme l’état de la société mondiale ou plus légères comme les cons qui secouent leurs chiens pour qu’ils pissent plus vite, est construit, assemblé et poli jusqu’à l’impeccable. Et le résultat est vraiment prenant, même s’il vaut mieux avoir quelques notions d’informatique (et peut-être d’économie) pour comprendre de quoi ça parle.