Prometheus
|de Ridley Scott, 2012, ****
Où est Dieu ? Telle est la question… En analysant des vestiges préhistoriques, un groupe de scientifiques identifie une lointaine planète comme l’origine vers laquelle se tournent les anciens hommes. Après un long voyage, ils arrivent sur place ; mais les dieux sont morts, après une brutale panique face à… à quoi, d’ailleurs ?
Prometheus a plusieurs ancêtres. Le mythe de Prométhée bien sûr (d’ailleurs, pourquoi ne pas avoir traduit le titre ?), puni pour avoir donné à l’homme sa forme et son savoir… mais aussi et surtout 2001, l’odyssée de l’espace, repris dans d’innombrables clins d’œil — les nombreux plans de planètes à contre-jour, les salutations à David dans la première scène, l’apparence du vaisseau… Il y a aussi un peu de Stargate : SG‑1, la première forme de vie rencontrée étant finalement proche d’un Goa’uld.
Mais Prometheus n’est pas, absolument pas, définitivement pas, un Alien. C’est une erreur majeure de communication de la production que d’appuyer autant sur le fait que Ridley Scott revenait en personne étendre l’univers d’Alien : la parenté est limitée, l’histoire se passant longtemps avant celle du Huitième passager, à une époque où les vaisseaux spatiaux sont encore propres et ambitieux — la grande nouveauté du premier Alien était la saleté omniprésente, le Nostromo étant le premier cargo-poubelle spatial. En fait, le seul rapport entre Alien et Prometheus, c’est que celui-ci explique comment les aliens ont été créés. Sorti de cela, Ridley a fait un film totalement indépendant, nouveau, dont le sujet est radicalement différent : Le huitième passager était un « survivor » assez classique, basé sur le suspens et un montage haché ; Prometheus est une quête héroïque des origines, s’interrogeant sur la nature de l’homme, sa création et sa fin. En cela aussi, il est bien plus légitime de réclamer l’héritage de 2001 que celui d’Alien.
Pris individuellement, pourtant, Prometheus est un film rythmé, parfois amusant — avec parfois un humour extrêmement grinçant, David maniant une ironie à froid cynique et impitoyable. Il ne passe pas à côté de quelques incohérences maladroites (les deux crétins qui viennent grattouiller le Goa’uld sous le menton, oubliant brutalement toute prudence alors qu’ils sont enfermés, coupés des leurs, sur une planète étrangère, entourés de cadavres d’humanoïdes) et de caricatures un peu lourdes (Meredith, elle est marrante deux minutes, mais au bout du compte on se demande si c’est pas James Cameron qui a dessiné le personnage), mais les passages d’interrogations, de doutes, d’exploration sont très bien menés.
Et il y a ce truc rare au cinéma américain : un avortement, un peu trash certes, mais assez important pour la construction du personnage d’Elizabeth — la nouvelle Ripley, décidée, farouche et prête à tout pour s’en tirer. Au passage, Noomi Rapace est la vedette désignée du film, dans un rôle finalement pas si éloigné de celui qui l’a fait connaître (même le prénom est le même !), et le duo qu’elle forme avec Fassbender est troublant : elle, souvent froide à l’extérieur, brûlante au cœur ; lui, cordial, souriant et amical, mais cynique comme un robot.
Autre petite rareté, d’ailleurs : les dieux sont fondamentalement pas sympas. Qu’il s’agisse des nôtres ou de ceux de nos créatures.
Pour la technique, il faut noter que Prometheus est le premier film en stéréoscopie de Ridley Scott. Il a été tourné avec des 3ality Atom, un système analogue à la Pace Fusion mais basé sur des caméras Red plutôt que Sony. Le directeur de la photographie, Dariusz Wolski, et le stéréographe, James Goldman, ont déjà utilisé ce type de matos sur Pirates des Caraïbes : la fontaine de jouvence, et ont bien progressé dans son utilisation : ici, pas de théâtre de papier, pas de faux relief, pas d’incrustations planes dans un univers en relief ; pas non plus d’exagération des perspectives ou d’effets artificiels, juste de la bonne stéréo discrète et immersive comme on l’aime. Scott nous fournit donc un film graphiquement proche de l’irréprochable, poisseux et gluant quand il faut, lisse et froid quand c’est possible, seul le passage dans les rêves au début étant graphiquement pénible. (Notons tout de même que bien entendu, les salles n’ont toujours pas pris sur elles de corriger l’étalonnage en fonction des lunettes proposées : là, j’étais dans un mk2 avec des lunettes Volfoni 3dge, qui refroidissent et assombrissent l’image, et il aurait fallu un étalonnage surexposé et jaunâtre pour avoir un résultat plus cohérent.)
Dans l’ensemble, Prometheus est donc un film de SF assez réussi, prenant, métaphysique sans excès, pas vraiment un chef-d’œuvre mais un vrai bon film. Il ne souffre que d’un gros problème : l’incurie de sa distribution qui, plutôt que de dire « Ridley Scott se remet à la SF », a préféré dire « Ridley Scott se remet à Alien », ce qui est à mon humble avis mensonger.