Avatar
|chef-d’œuvre de James Cameron, 2009
Ancien marine paraplégique, il a l’occasion de reprendre du service à la mort de son frère jumeau, un scientifique travaillant sur l’exoplanète Pandora. En effet, celui-ci faisait partie du programme Avatar, permettant à un humain de posséder (au sens religieux du terme) un corps de Na’vi, espèce humanoïde autochtone, via une technologie génique. Comme d’autres pilotes d’avatars, il doit donc établir le contact avec les indigènes, gagner leur confiance et les convaincre de laisser les Terriens démolir leurs lieux de vie, malencontreusement placés sur un stock de minerai.
Mais une fois sur place, il ne découvre pas seulement le plaisir renouvelé de marcher et courir : son infiltration va lui permettre de s’ouvrir à la culture des Na’vi et, surtout, de découvrir que toute la vie animale et végétale de Pandora est interconnectée : les plantes forment un immense réseau de nerfs et de synapses et les animaux —Na’vi compris, qui dirigent ainsi leurs « chevaux » et leurs « dragons » — disposent d’un port de communication avec ce réseau.
C’est paradoxal, mais mon sentiment est que l’essentielle faiblesse d’Avatar est… son manque d’originalité. Oui, je sais, tout le monde applaudit l’inventivité magistrale dont James a fait preuve sur ce coup. Et je peux pas leur donner tort, j’y reviendrai plus loin. Mais fondamentalement, Avatar est la reprise extra-terrestre d’un thème déjà vu : le choc d’une culture guerrière d’invasion et d’exploitation placée face à une culture autochtone vivant en symbiose avec une nature luxuriante. Autrement dit, Avatar, c’est la guerre du Golfe, le Mensonges d’État de Sir Ridley, Bételgeuse et Antarès de Léo, Nausicaä de la vallée du vent de Hayao, et surtout très profondément le Danse avec les loups de Kevin.
Reste tout de même une nouveauté, pas intrinsèque (cf. tous les forums Internet) mais inédite à ma connaissance dans le genre : la représentation à distance par le biais d’un avatar. Jake, notre bon marine, est soigneusement calfeutré à l’abri, loin du terrain d’opération, et opère à travers un corps qui n’est pas le sien.
D’où une question fondamentale sur la réalité virtuelle : quand perd-on pied, quand le monde admis comme réel (où l’on traîne dans un fauteuil roulant, entre une scientifique acariâtre¹ et un colonel des marines) se dissout-il pour ressembler plus à un rêve que le monde dans lequel on est projeté ?
Au-delà, si le monde d’emprunt — Pandora, Second life, Le Grand Forum ou l’intégrale de Jeremiah, à vous de voir — devient plus important que le monde imposé par notre naissance, on fait quoi ? Quand arrête-t-on d’être un soldat en infiltration chez les péquenots pour devenir un homme qui s’entoure de ceux qu’il aime ?
Et lorsque Jake va se lier à Neytiri, une charmante Na’vi caractérielle, la traditionnelle affaire du lieutenant Dunbar et Dressée avec le poing, ou de Buddy Longway et Chinook, ou encore de John Smith et Pocahontas² (là aussi, y’a une référence assez évidente) devient ainsi le terreau d’une évolution du personnage central, pour qui le monde réel devient accessoire tandis que le monde virtuel devient solide, palpable et hospitalier.
L’autre petite faiblesse d’Avatar, c’est la technique.
On sait que James aime les effets spéciaux et sait s’en servir. Terminator, Le jugement dernier, Aliens et surtout l’inoubliable Abyss, c’était déjà lui. Et il a répété à qui voulait l’entendre que le script d’Avatar était prêt depuis quinze ans, mais qu’il attendait que la technique lui permette de faire ce qu’il voulait.
On le comprend : il voulait un rendu photo-réaliste de trucs pas simples à gérer, filmer des personnages en stéréoscopie avec une qualité irréprochable et les intégrer de manière totalement transparente dans un environnement complexe, et surtout il avait absolument besoin de capture de mouvement non seulement pour des corps, mais pour des visages.
Au premier coup d’œil, on est un peu déçu : la scène d’introduction passe moyennement.
La stéréoscopie a des limites : lors de l’affichage de trucs très proches, le cerveau du spectateur peut « décrocher », détecter l’incohérence entre distance de mise au point et orientation des globes oculaires ou un truc du genre, et refuser l’assemblage des deux images. Durant le film, c’est extrêmement rare, mais la scène d’introduction dans un couloir extrêmement profond met le phénomène particulièrement en évidence : en regardant le fond de l’écran, ça passe, mais dès qu’on remonte vers les bords, ça décroche.
Il y a aussi le soucis de la profondeur de champ déjà évoqué pour Là-haut, particulièrement visible ici puisque James a créé un monde luxuriant bourré de détails jusque dans les angles : l’œil veut se balader librement dans un univers en relief pour découvrir les petits trucs disséminés çà et là, mais c’est flou en-dehors de la mise au point. James s’en est plutôt bien sorti, ceci dit, réduisant la profondeur de champ surtout dans des scènes rapides dont la lecture est facilitée par le choix de mise au point, et en « diaphragmant » (concept amusant pour un film presque intégralement en images de synthèse) lors des plans larges où il veut montrer son univers.
Enfin, il y a le truc auquel James ne peut rien : le cinoche reste encore et toujours scotché à 24 images par seconde, fréquence limite pour la fluidité (certains détectent les saccades sur les travellings dans les films normaux). Or, avec deux images affichées en alternance (une à gauche, une à droite), chaque œil ne reçoit de la lumière que deux fois moins de temps, et le black-out entre deux images successives est plus long : les saccades sont donc plus visibles. Nulle solution ici, sinon se décider à adopter des fréquences plus élevées. Quand on sait que pour jouer en stéréoscopie, Nvidia affiche deux fois… 60 images par seconde, on se doute qu’il y a comme une raison quelque part : c’est tout simplement qu’avec une fréquence très inférieure, on n’a plus un mouvement fluide mais une série d’images.
Là, comme ça, vous vous dites : « c’est une grosse merde ». Euh… Ben non, en fait. Si j’ai dit plus haut que la faiblesse d’Avatar était technique, c’est… sa réussite technique. En gros : on en prend tellement plein les mirettes qu’on en oublie de faire gaffe aux questions humaines.
L’univers d’Avatar est complexe, fouillé jusque dans les moindres détails. Avec certaines intelligences remarquables : si pour l’exotisme, les couleurs ne sont pas celles de nos forêts terrestres (si, si, il en reste par endroits), les animaux sont dans des tons adaptés de sorte que l’on conçoit sans problème que le mimétisme, principe fondamental de la prédation, fonctionne. Et si l’on s’intéresse surtout à des bêtes imposantes, Pandora ne manque pas de faune et de flore de toute taille et de tout type. Les îles flottantes (miam) qui envahissent les bandes-annonces du film ne sont finalement qu’un élément, et peut-être pas le plus original (Le château dans le ciel, Chasseurs de dragons…) ; c’est au total une véritable planète, variée comme peut l’être la Terre, avec des paysages globalement forestiers, plus rarement rocheux, étrangement cohérents mais toujours différents.
Les espèces présentes sont également riches, manifestement apparentées les unes aux autres, et je ne serais pas étonné outre mesure d’apprendre qu’un type a établi un arbre généalogique avant de créer les structures des bestioles. Seul reproche : du coup, les Na’vi font un peu tache. Ils sont par exemple les seuls êtres pandorans à avoir un nez, alors que les autres animaux ont des narines ouvrant directement sur les poumons, à hauteur des clavicules à peu près³.
Un autre truc que j’ai bien aimé : lors du début de l’entraînement au pilotage des avatars, on voit que les Na’vi, du haut de leurs 3,5 m, peuvent utiliser comme arme d’épaule assez confortable des mitrailleuses de .50. On a déjà vu cette scène dans à peu près 3000 films de guerres montrant une nouvelle espèce / un nouveau type de soldat surhumain / des exosquelettes de combat / un Rambo qui vaut dix hommes, et du coup, on n’y fait pas gaffe ; sauf qu’ici, ce petit détail a un rôle dans la suite…
Bref, on sent que James a creusé son sujet, s’est appliqué, a mis en place plein de choses et croisé des bouts de scripts un certain temps pour tout mettre au point et s’assurer tout autant de la cohérence que de la richesse de l’ensemble.
Là-dessus, il a utilisé exactement les technologies utiles (la capture des visages appliquée aux Na’vi est rien moins que stupéfiante, reléguant les précédents chefs-d’œuvre de « mocap » comme Sméagol au rang d’animations papier-crayon) et en met plein la vue, non pour le plaisir d’en foutre plein la vue (façon « toi, je vais te scotcher dans ton siège », comme a dû penser Sommers en pondant Le réveil du Cobra), mais pour importer le spectateur dans Pandora (« tu vas voir, je vais te montrer un nouveau monde et tu vas y croire »).
Mais du coup, on est tellement occupé à regarder à droite, à gauche, à savourer cette nouvelle frontière, cette nouvelle façon de filmer aussi (c’est peut-être bien le premier film en relief, au sens où il n’est pas une vague adaptation d’un truc pensé plan), que les aspects intéressants — l’idée des avatars, la projection dans un monde qui n’est pas le sien, le choc des cultures, la fable écolo, tout ça — ne pénètrent pas forcément jusqu’au cœur. Je commence à me dire qu’en fait, il faudrait peut-être que, à l’instar de mon rédac-chef (qui, en sortant, se demandait si sa fille de six ans pouvait servir de prétexte pour s’en refaire une dose, et doit être en train de préparer une brève dithyrambique sur Lesnums), je retourne le voir. Une fois le choc visuel digéré, il doit y avoir des trucs à dire aussi sur le film lui-même.
Reste qu’en l’état, c’est un film-démonstration. De l’état de l’art cinématographique d’une part, mais aussi du talent phénoménal d’un réalisateur-scénariste d’exception, qui s’est vraiment lâché pour faire un chef-d’œuvre de science-fiction-western incontournable.
Tiens, je me demande si par hasard ce petit mot serait pas un peu long. Pas sûr qu’il rentre dans les 2000 signes alloués par Allocine, celui-là. ^^
PS : je profite d’une petite mise à jour (lien vers les louanges de Vincent) pour ajouter un truc.
Il y a tout de même une nouveauté par rapport au western « deuxième vie » (celui qui a Danse avec les loups comme père fondateur) classique. Entre Indiens et colons, il y a une différence philosophique profonde sur le respect des choses et des êtres, mais ils partagent le même corps, le même univers. Les uns souhaitent l’apprivoiser, les autres tentent de le dominer, mais ils sont du même monde, souffrent des mêmes maux (sauf la syphilis, disent les historiens en clamant qu’elle était absente du continent américain avant l’arrivée des Blancs).
Dans Avatar, il y a une différence fondamentale entre Na’vi et humains. Les premiers sont dans leur environnement. Ils sont forts, agiles, graciles, rappelant dans leurs déplacement bien plus les gibbons et les iums (lisez Bételgeuse, de Léo, bande d’ignares) que les humains. Ils ont aussi — en particulier les femelles, et en particulier Neytiri — un côté félin, des postures et une puissance qui ne sont pas sans rappeler panthères et tigres, et prennent des airs de polatouches lorsqu’ils naviguent dans les airs de leur forêt luxuriante. Enfin, ils sont de vrais centaures, en cela qu’il communiquent avec les chevaux et les dragons au lieu de les dresser, et qu’il y a symbiose entre porteur et pilote.
À côté de cela, les humains sont lourds, patauds, avec leur squelette massif et leur besoin de forcer pour tout déplacement un peu vif. Film symbolique d’une humanité qui a perdu le contact avec son propre corps ? D’une nation où 30 % des gens souffrent pour monter un malheureux étage d’escaliers ? La mauvaise conscience d’un État bâti sur une invasion barbare est réelle, mais il y a aussi cette sorte de divorce consommé entre corps et humain, celui-là étant le fardeau à porter de celui-ci au lieu de l’outil lui permettant de naviguer dans son monde. Les Na’vi sont des yamakasi, les humains sont des Michael Moore (en moins pacifiques).
PS2 : j’en profite aussi pour rajouter, en petit linguiste amateur, un truc qui m’a choqué. Lorsque Jake incite les Na’vi à chasser les humains, il utilise cette tournure : « this is our land ». Or, chez les Na’vi comme chez les Sioux, la notion de possession d’une terre est absurde en soi ; tout dans leur présentation, dans l’heure et demie précédente, indique qu’ils se considèrent comme une part de cette terre, et non comme ses propriétaires. Une tournure de type « we are this land » ou « we belong here » m’aurait paru infiniment plus appropriée et naturelle, et ce « this is our land » est une réminiscence réflexe d’un scénariste californien bien au chaud dans une propriété grillagée de 5000 m², bien plus qu’un argument susceptible de convaincre un Na’vi.
¹ À ce sujet, je crois que je vais finir par devenir un fan inconditionnel de Sigourney Weaver.
² Question con : pourquoi est-ce toujours un envahisseur et une envahie ? Les psychanalystes sont exemptés de répondre. ^^
³ Le pinailleur de l’extrême se demande un peu, du coup, pourquoi ces espèces ouvrent la gueule pour faire du bruit ; au passage, il pense aussi que les hélicos n’ont aucune raison de cabrer pour freiner puisque leurs rotors sont orientables : la logique voudrait au contraire qu’en phase d’approche, ils tanguent vers l’avant pendant que les rotors se braquent pour ralentir, tout autant par réaction à ce mouvement que pour que le pilote garde la zone d’atterrissage en vue jusqu’au dernier instant.