Les films à baffes de Bud Spencer et Terence Hill
|de plein de gens, ***
Tout commence à la fin des années 50, avec la première mort du « vrai » western, américain, de John Ford avec John Wayne et Henry Fonda (à dire avec la voix d’Eddy Mitchell). Il passe la main à ce qui sera longtemps la référence du western : le spaghetti. Le spaghetti joue avec les codes du western, mais y rajoute une espèce d’humour italien légèrement décalé, que ce soit dans Le bon, la brute et le truand ou dans Il était une fois dans l’Ouest. Les héros n’y sont jamais de vrais héros et, quand bien même le film serait un pur chef-d’œuvre héroïque, on aime bien démolir les idoles : pas de gentil, des personnages ridicules et un monde sale et glauque sont l’ordinaire du genre, qui atteindra un point culminant avec Mon nom est Personne, de Tonino Valerii.
On y voit apparaître, aux cotés d’un Henry Fonda en pistolero vieillissant, perdu dans un monde qu’il ne comprend plus, un gamin rigolard, doué de ses poings et jouant du revolver comme un maître sans jamais se prendre au sérieux, et qui veut voir se réaliser son rêve de gosse : voir Jack Beauregard (Henry Fonda) affronter la Horde sauvage. C’est la rencontre entre le western, le spaghetti et une nouvelle génération de cinéma plus parodique, autant que le passage de relais entre les acteurs emblématiques issus de la Seconde guerre mondiale et la génération loufoque sans doute pas si loin de l’esprit soixante-huitard, incarnée par Terence Hill.
Toute cette introduction un peu longue pour revenir sur Personne. Il est en quelque sorte le résultat de l’intrusion dans le spaghetti classique d’un personnage apparu trois ans auparavant. Le même sale gosse, déjà interprété par Terence Hill, était présent dans On l’appelle Trinita de Enzo Barboni. En l’absence de Henry Fonda, il fallait lui trouver un autre monstre à embêter ; c’est Bud Spencer qui s’y colle, début d’une collaboration qui durera (pour l’instant) quarante ans. Spencer est sérieux, grand, costaud, caractériel ; il pourrait faire un vrai héros, il donc est urgent de le ridiculiser : on l’appellera Bambino… Et puisque la bagarre de saloon a toujours fait partie intégrante du western spaghetti, on va ici l’ériger en art : c’est la naissance du film à baffes, dont le principal intérêt tient à la chorégraphie des bastons, et qui va rapidement s’émanciper de la paternité du western pour s’attaquer à de nouveaux genres : Maintenant, on l’appelle Plata, troisième film de la série, s’envoie en l’air dans l’Amérique du Sud contemporaine et n’échappe pas, parfois, à une ressemblance avec L’homme de Rio de de Broca. Mais les baffes sont toujours là, les dialogues savoureusement nuls aussi, le scénario toujours aussi bien préfabriqué. Et finalement, ça fera école : on retrouvera le même esprit potache dans Doux, dur et dingue avec Clint Eastwood et, dans une moindre mesure, dans la série télévisée L’agence tous risques ; mais aussi, surtout, dans les fameuses parodies de kung-fu à la Jackie Chan.
Les quatre films que je propose ici sont bâtis sur le même moule. Bud Spencer est un colosse grognon, d’une force physique à toute épreuve mais un peu bas de plafond (je me demanderai toujours si le créateur du personnage connaissait Obélix), qui veut faire sa vie tranquillement comme n’importe quel petit malfrat sans importance. Débarque son demi-frère ou cousin, Terence Hill, petit malin idéaliste mais — filiation avec le spaghetti oblige — pas plus honnête que n’importe qui, qui trouve une cause perdue à défendre (des fermiers menacés d’expulsion, des moines pris en otages, des orpailleurs exploités, des animaux braconnés…) et se lance dans la tourmente en prenant soin d’y mêler son colossal parent. S’enchaînent des dialogues amoureusement décalés, quelques tirs d’armes à feu, lesquelles finissent rapidement au fond de la première rivière pour laisser la place à des jeux de mains bien plus rigolos.
Là, mes amis, on en prend plein les mirettes. L’imagination gaguesque des scénaristes est évidente et, comme chez Jackie Chan, la chorégraphie des bagarres en fait un régal des yeux. Régulièrement pris par surprise par une issue inattendue, le spectateur peine à suivre mais parvient tout de même à trouver une seconde pour s’exclamer : « La poêle en fonte dans la gueule, ça doit faire mal !» tout en riant à gorge déployée.
Je vous vois venir, les bizarres, les vrais grands cinéphiles, les analystes de Godard et les exégètes de Spielberg : « mais c’est pas du cinéma, c’est du gag, Kaamelott fait pareil mais ça dure pas deux heures ».
Vous n’avez pas tord. Mais vous savez quoi ? Même si ça ne révolutionne pas la vie du cinéma ni l’histoire de la pensée philosophique occidentale, c’est quand même vachement bon à regarder. On peut aimer Usual suspects ou Bloody sunday et apprécier de se détendre le cortex de temps en temps, non ?
Critique basée sur les films suivants :
On l’appelle Trinita (1971) et On continue à l’appeler Trinita (1972) de Enzo Barboni (westerns à baffes)
Maintenant, on l’appelle Plata (1972) de Giuseppe Colizzi (aventures sud-américaines à baffes)
Cul et chemise (1979) de Italo Zingarelli (aventures africaines à baffes)
Dans le même genre, mais que je n’ai pas vus depuis longtemps :
Deux super-flics (1977) de Enzo Barboni (polar américain à baffes)
Lucky Luke (1991) et Petit papa Baston (1994) de Terence Hill (westerns à baffes)
…et toute la fimographie de Terence Hill, à peu de choses près !