Predator : Badlands
de Dan Trachtenberg, 2025, ****
Il y a bien longtemps, après la sortie du très correct Predators, je m’étais farci tous les films de cet univers. De quoi me rappeler d’où on partait : Predator, une série Z de McTiernan efficace à défaut d’être intéressante, suivi de l’oubliable et justement oublié Predator 2, du débile assumé Alien vs Predator et de l’hélas inoubliable Alien vs Predator : Requiem.
Fin 2018, Shane Black relançait la série avec The Predator, mais j’avais autre chose à faire à l’heure des rarissimes séances en VO. Puis Dan Trachtenberg a pris la main avec Prey et Predator : killer of killers, qui sont sortis directement en vidéo à la demande et que j’ai logiquement ratés. Voilà donc qu’en ce début novembre 2025, l’histoire se répète : j’ai trois films de retard quand les Prédateurs reviennent au ciné, avec une bande-annonce étonnamment sympa – pas forcément super subtile, mais pleine de clins d’œil qui annoncent un certain second degré.
Et comme je viens de rendre un gros dossier, je peux aller me vider le cerveau en toute décontraction. Donc voilà.
Premier point : contrairement aux précédents, Predator : Badlands est intégralement conté du point de vue d’un Prédateur. Il n’y a d’ailleurs aucun humain dans le film, vu qu’on nous dit d’entrée qu’aucune de ces fragiles et maladroites créatures ne survivrait dans ce décor.

Deuxième point : contrairement aux précédents, Predator : Badlands réunit les univers Predator et Alien avec un semblant de logique. Il n’y a d’ailleurs aucun alien dans le film, juste des produits de Weyland-Yutani, dont on sait qu’elle passe son temps à explorer des planètes donc c’est logique qu’un jour elle tombe sur un Prédateur.
Troisième point : si vous avez un peu d’oreille, il vous faudra à peine quelques phrases pour que votre cerveau commence à se dire « Eh mais c’est une vraie langue ?! »
Et ça, ça change beaucoup de choses. Parce que oui, les Prédateurs ont désormais une vraie langue (d’ailleurs, ils s’appellent « yautja »), créée par le linguiste Britton Watkins – qui avait déjà travaillé sur le klingon et sur une langue construite pour un jeu vidéo. On avait l’habitude de les entendre grogner et cliquer, et les sous-titres disaient que c’étaient des phrases, mais ça ne semblait pas avoir de réel sens. Ici, pour commencer, vous entendrez plein de consonnes gutturales, mais quasiment aucune bilabiale, ce qui correspond à la morphologie de la bouche des yautjas.
Mieux, vous pouvez rapidement retrouver des éléments récurrents, commencer à deviner une structure grammaticale de base, et comprendre un peu comment la langue marche. Au bout de vingt minutes, j’en étais à « ah, quand on reprend une phrase en changeant de personne c’est la fin qui change, donc ça ça pourrait être le pronom sujet », après une heure j’étais raisonnablement certain que c’était une langue OVS1, et en cherchant une fois chez moi, j’ai eu l’immense satisfaction de trouver une confirmation de mes impressions. Okay, si vous êtes pas un gros nerd dans mon genre, ça va peut-être vous laisser totalement froid, mais votre cerveau notera inconsciemment cette cohérence et ça vous aidera à prendre le personnage pour un vrai personnage et pas pour un truc étranger et absurde.
Bon, le soin apporté aux détails pour les geeks de service, c’est bien gentil, mais est-ce que ça fait un bon film ?

Non, bien sûr. Mais le reste est correct. Le scénario ne casse pas trois pattes à un canard : c’est une quête initiatique mêlée de duo emmerdeur/emmerdé. Dek, yautja de son état, veut prouver sa valeur en rapportant la tête du prédateur ultime d’une planète d’où personne n’est revenu. Sur place, il rencontre Thia, synthétique de Weyland-Yutani, qui connaît déjà la planète et ses dangers vu qu’elle y est coincée sans ses jambes – il va donc falloir la porter. À partir de là, ça déroule de manière assez limpide, avec des dangers inattendus, des dangers attendus, et une paire de rebondissements assez prévisibles.
Mais encore une fois, c’est de l’artisanat de qualité, avec une belle cohérence interne, des scènes d’action lisibles, une touche d’humour bien dosée et juste assez de clins d’œil à la culture populaire (à peu près tous les films de monstres passent à un moment ou à un autre, pour une fraction de seconde ou une séquence complète) pour amuser sans s’appesantir.

La réalisation est extrêmement réussie, la « photo » aussi (avec des plans de forêts dignes d’Avatar), le casting fait son taf et le ton presque toujours enjoué d’Elle Fanning contraste efficacement avec les gutturales lugubres de Dimitrius Schuster-Koloamatangi.
Le résultat n’est ni vraiment profond, ni vraiment bouleversant, mais c’est entraînant, travaillé avec soin pour faire une distraction extrêmement réussie. Ce qui est déjà bien mieux que l’immense majorité des « œuvres » de cette franchise.
- Notez que c’est un ordre « relativement » rare dans les langues naturelles, genre 1 % des langues. En fait on le pensait même inexistant jusqu’à ce qu’on en trouve dans des îles paumées des Salomon ou des coins inaccessibles du Pérou et du Mexique.[↩]