Les rescapés du vol 29
|de D.J. MacHale, 2005–2007, **
Vous savez ce que c’est, les hasards de la vie. Vous êtes à Hanovre, en voiture, et vous passez devant un restaurant un peu inhabituel. En vérifiant ce que c’est que ce truc qui ressemble à un gros de Havilland Dove (c’est un Viscount, j’aurais dû y penser…), vous tombez sur le Heron, son dérivé quadrimoteur. Et là, vous lisez : « utilisé dans la série intitulée Le crash du vol 291″.
« Oh tiens », vous dites-vous innocemment, « une série avec un crash d’avion et une robinsonnade que je connais pas, remédions à ce manque. »
Au bout d’un ou deux épisodes, vous vous dites « Ah mais si, en fait, j’étais tombé au milieu quand la fac était bloquée par le CPE, ça m’avait pas plus accroché que ça. » Mais bon, on connaît des séries qui m’avaient pas plus accroché que ça et que j’ai adorées depuis, alors je lui a redonné sa chance.
Je dirais pas que c’est un échec, mais ça n’a pas trop marché.

Dès le début, le public visé est clair : les enfants. Pas trop intelligents de préférence. La série est basée sur un crash d’avion et parle de survie sur une île déserte quelque part entre Guam et les Palaos, mais vous comprendrez vite qu’il n’est pas question de montrer quoi que ce soit qui risquerait de choquer un Californien de six ans. Il faudra attendre la deuxième saison pour montrer des blessures, et encore, j’ai saigné plus que ça la dernière fois où j’ai croisé une ronce.
Juste un truc : essayez d’imaginer Sa majesté des mouches sans une goutte de sang, et voyez ce qui reste…
Comme les enfants ne peuvent pas piloter un avion (on n’est pas dans Aigle de fer) et que personne peut mourir, on s’attendrait naturellement à ce que le pilote finisse par gérer les ados. Mais une vraie robinsonnade pour ados avec un adulte aux commandes, ça marche pas. Le scénariste recourt donc à une astuce magique : le pilote part avec un lot d’ados explorer l’île, puis tombe dans un trou du scénario — on ne le reverra que tout à la fin. On reste donc avec le gros de la troupe, six ados et un enfant, sur la plage où ils vont tenter de s’organiser.
À propos, j’entends d’ici l’Odieux Connard râler contre ces enfants de scénarios américains qui parlent comme des adultes et raisonnent mieux que les adultes. Bon, là, on nous dit clairement que c’est un génie alors voilà c’est normal. Mais surtout, en fait, si on analyse bien ses répliques, il cause pas comme un adulte. C’est juste un nerd de dix ans avec un langage un peu soutenu mais normal. Si on a l’impression contraire, c’est parce que les adolescents qui l’entourent sont, et je pèse mes mots : com. plè. te. ment. cons.

— Oui ben ça en dit plus sur nous que sur lui…
- photo Canal+
C’est-à-dire qu’évidemment, on a les deux snobs gâtés estampillés « branleurs égocentriques » qui veulent rien faire mais quand même profiter du travail des autres. Bon, admettons. Évidemment, ils s’entendent pas avec la bonne élève autoritaire qui veut organiser le boulot de tout le monde, logique. Mais avait-on besoin que celle-ci affronte un blaireau au fond aussi autoritaire qu’elle ? Était-il nécessaire que la cohésion du groupe repose sur une caricature de courge qui chouigne qu’il faut se serrer les coudes au moindre désaccord ? Était-il vraiment inévitable qu’à aucun moment aucun d’entre eux ne prenne une seconde pour écouter celui qui, de leur avis à tous, est un petit génie beaucoup plus intelligent qu’eux ?
Alors oui, je vous vois venir, les esprits pratiques : « Non mais s’ils avaient réfléchi un quart de seconde, écouté mini-MacGyver expliquer des trucs évidents, pris deux minutes pour explorer l’île intelligemment au lieu de juste expédier le groupe dont le scénariste voulait se débarrasser, ils auraient tout de suite trouvé des ressources utiles, évité des maladies évitables, géré les options pour se signaler aux avions, satellites et bateaux de passage, et ils seraient rentrés à Los Angeles en trois épisodes. » Certes, mais le truc, c’est que quand tu dois compter sur la débilité et le besoin de jouer à qui pisse le plus loin des personnages pour sauver ton scénario, tu devrais peut-être envisager de le retravailler.
Notez que je n’ai même pas parlé des dilemmes sentimentaux des uns et des autres, parce que là, franchement, à la vitesse où ils creusent, ils vont arriver à Carnaíba plus vite qu’à Koror.

Bon, après, je suis peut-être inutilement acerbe. Après tout, les personnages dépourvus de cerveau donnent une tonalité rigolote à la série : au lieu de regarder avec la tension de « vont-ils surmonter ce problème ? », on regarde avec le sourire de « quelle connerie vont-ils encore faire ? », ce qui est une bonne manière d’entraîner le spectateur. Si on prend ça comme un Laurel et Hardy, ça devient même parfois drôle.
Et comme, à côté de ça, les paysages sont jolis (clairement pas micronésiens, mais jolis) (sérieux, la montagne au milieu de l’île, dans un coin où il n’y a littéralement que des atolls, ça fait bizarre), la série est rythmée, parfois entraînante même. Et puis, si les acteurs ont clairement découvert les personnages dix minutes après le début du tournage, ils s’améliorent un peu par la suite. D’ailleurs, certains ont même eu l’occasion d’avoir d’autres seconds rôles, voire presque de faire une carrière dans le métier. La série est en outre assez courte, deux saisons de quatre heures et une d’une heure vingt, ce qui évite de faire languir.
Finalement, c’est donc un peu comme les marshmallows : c’est un peu écœurant, on sait que c’est pas bon, mais on continue à y piocher avec un certain plaisir, de morceau en morceau, jusqu’au fond du sac.