First man
|de Damien Chazelle, 2018, ****
C’est l’histoire d’un bon ingénieur mais pilote médiocre, qui passe à deux doigts de planter un X‑15, qui foire la gestion d’une panne sur Gemini 8, qui s’éjecte trop bas d’un « sommier volant », et qui est inexplicablement quand même sélectionné pour commander Apollo 11, où il sauve le vaisseau qui se dirigeait au mauvais endroit.
C’est aussi l’histoire d’un homme qui a perdu sa fille et doit concilier sa mission auprès de sa femme et son boulot — dans lequel il perd régulièrement des amis au fil des accidents.
Ainsi, First man, le premier homme sur la Lune (titre « français » exagérément long et inutilement bilingue si vous voulez mon avis) se construit à l’opposé de l’incontournable classique L’étoffe des héros. Celui-ci s’ouvrait avec un cavalier dans le désert qui se révélait pilote risque-tout et surdoué ; celui-là se lance d’emblée dans l’action avec un consciencieux maladroit que l’on présente avant tout comme un père de famille. L’un était une épopée héroïque, l’autre est un mélo intimiste.
C’est tout bête, mais dès l’introduction, First man peut hérisser les gens qui s’intéressent un peu à Armstrong, au X‑15 et à leurs relations. Le célèbre « rebond » du 20 avril 1962 était son sixième vol libre sur l’appareil. Neil avait déjà inauguré le système de navigation « Q‑ball » et déverminé le troisième exemplaire : autant dire qu’il avait fait ses preuves — d’ailleurs, il a fait un septième vol, ce qui n’aurait sûrement pas été le cas s’il avait mal géré son rebond, comme le film le laisse accroire. En fait, c’est symbolique d’un problème récurrent : trop attaché à ses personnages, First man prend rarement la peine d’un pas en arrière pour relativiser. En l’occurrence, l’idée qu’Armstrong était moins pointu que ses camarades vient surtout de ceux-ci, tous militaires d’active alors qu’il était « civil », ingénieur et pilote d’essais de la Nasa. Mais plutôt que de contextualiser en présentant l’éternelle guéguerre qui pollue tous les environnements où pilotes militaires et civils sont mélangés, Singer et Chazelle ont préféré en faire l’incontournable faiblesse du héros : s’il est plus ingénieur que les autres, il doit être moins pilote, du coup ça sera encore plus fort quand il posera Eagle à la main, voilà.
La même remarque est valable pour le second grand moment de suspense du film, la rotation incontrôlable de Gemini 8 : d’après le scénario (et certains commentateurs de l’époque), Armstrong aurait pris de mauvaises décisions alors qu’il existait des moyens de sauver la mission. Pourtant, Gene Kranz lui-même avait alors dit que l’équipage avait eu affaire à une situation pour laquelle aucune procédure n’avait été définie, pris des décisions raisonnables selon les données disponibles, et que « s’ils ont mal réagi, c’est qu’on les a mal entraînés ».
Bref, comme beaucoup de films de ce domaine, First man n’est pas destiné aux passionnés d’aéronautique.
Cela veut-il dire qu’il faut tout jeter ?
Non, bien sûr. Même si ça me fait mal de l’avouer, l’univers ne tourne pas autour de l’aéronautique.
Quoi qu’en dise mon introduction, First man n’est vraiment pas l’histoire d’un pilote ou d’un astronaute. C’est celle d’un homme qui avance avec sa femme alors qu’ils ont perdu un enfant et pas mal d’amis, et qu’ils savent que ça peut lui arriver aussi.
C’est un bon gros mélo qui en fait parfois un peu trop, mais qui parvient ainsi à intéresser quiconque a déjà dû affronter des tensions dans un couple ou des obstacles professionnels.
Dans ce domaine, le duo Gosling-Foy fonctionne impeccablement, Armstrong étant aussi peu communicant que dans la vraie vie. Si Chazelle appuie sans doute trop facilement et systématiquement sur la mort de Karen, celle d’Ed White survient comme un vrai coup du sort qui relance le film — en plus d’être l’occasion d’une reconstitution dramatiquement fidèle. Le film est ainsi rythmé par les drames et les choix d’un couple sous tension permanente, bien loin de l’image classique du héros explorateur qui fonce avec enthousiasme. Il permet ainsi à tout un chacun de s’identifier aux personnages, ce qui n’était pas forcément gagné vu la notoriété de ceux-ci.
Le rythme, justement, est parfaitement géré, prenant le temps des moments intimistes ou sprintant au fil des scènes d’action. Ainsi, quoi que l’on puisse dire de l’équilibre du film — pas assez d’aviation, trop de drames, pas assez de famille, ou le contraire —, il est parfaitement mené pour n’ennuyer personne, que l’on apprécie les grands spectacles hollywoodiens ou les tragédies familiales.
Ainsi, malgré quelques choix discutables, First man est un excellent biopic, qui ne tortille pas trop l’Histoire, offre des prestations remarquables à un superbe casting et s’adresse aux fans de mélo intimistes comme à ceux de films d’action un peu subtils. L’un dans l’autre, un film un peu calibré, mais très réussi.