Blade runner 2049
|de Denis Villeneuve, 2017, *
Première demi-heure : en fan de Blade runner, je suis aux anges. L’ambiance est là, froide, posée, avec sa ville poisseuse illuminée de publicités agressives, un blade runner réplicant qui fait son taf sans état d’âme — les nouvelles générations sont conçues pour ne pas se poser de questions — et un réplicant illégal qui fait pousser de la bouffe dans son coin. Après « est-il moral de chasser des êtres conscients qui essaient juste de survivre ? », on passe à « est-il intelligent de chasser des illégaux qui nous font bouffer ? », question qu’on sera heureux de poser à Trump, Valls et consorts à l’occasion.
Et puis, peu à peu, le malaise grandit.
Il s’accroît au fur et à mesure que se dégage le vrai fond du film.
Les réplicants, conçus stériles, ont un « miracle » : l’une d’eux a eu un enfant. Je vous laisse deviner qui, tiens.
Et les deux heures suivantes du film tournent autour de cet enfant, de la quête qui doit mener à son père (je vous laisse deviner qui, tiens) et à lui.
Le soucis, ça n’est pas la quête, bien gérée, avec un certain taux d’absurdités (genre la maison remplie de pièges à feu, où un chien se balade tranquillement sans en déclencher aucun) et plein de bons points (même les réplicants ont besoin de compagnie, donc le héros a une « her » à domicile et dans la poche).
Le soucis, c’est le message, d’abord sous-jacent, puis explicite dans la dernière demi-heure :si tu n’as pas d’enfant, tu ne sers à rien.
Voilà, je le dis un peu abruptement, mais c’est l’idée fondamentale de ce Blade runner 2049 : seul le fait d’engendrer te donne le statut d’être. Ceux qui n’engendrent pas n’ont d’intérêt que dans la mesure où ils servent de chair à canon pour protéger les parents et l’enfant.
Ce qui est très fort, c’est qu’ainsi le scénario se tire lui-même une balle dans le pied. Bien sûr, il n’explique pas comment les réplicants de la génération parentale sont encore là, alors que la limitation artificielle de leur durée de vie était au cœur du premier épisode ; il n’explique pas non plus comment ceux-là ont pu concevoir, se réfugiant derrière la bien pratique notion de « miracle ».
Mais surtout, tout le sujet des Blade runner, c’est l’émancipation et l’humanité des réplicants : puisqu’ils sont conscients, ont les mêmes peurs et les mêmes sentiments que nous, de quel droit décidons-nous qu’ils doivent servir et mourir ?
Ce deuxième épisode répond à cette question de la plus abjecte des façons : nous les fabriquons, ils ne peuvent se fabriquer eux-mêmes, donc leurs vies nous appartiennent. Et ce raisonnement est profondément soutenu par l’armée des réplicants, puisqu’ils estiment eux-mêmes qu’ils sont tous sacrifiables pour que vive le réplicant-né.
Imaginez une seconde que vous ne soyez pas capables d’engendrer, et que votre production soit contrôlée par ceux qui vous réduisent en esclavage. Quelle serait votre réaction ? Vous vous battriez pour avoir des droits, et notamment pour décider vous-mêmes d’avoir une descendance, en prenant le contrôle des machines qui vous font ?
En tout cas, c’est ce que font les migreurs dès qu’ils reçoivent une once de libre arbitre (si vous n’avez pas lu Sillage, c’est au début de Collection privée, deuxième épisode).
Et bien ça n’est pas du tout ce que font les réplicants. Pour eux, tant qu’ils sont fabriqués, ils ne valent rien, seul le « miracle » mérite d’être protégé. Et tant pis pour les questions du film de Scott sur la légitimité des réplicants à tenter de survivre.
Vous aurez noté qu’un point assez similaire m’avait dérangé dans le précédent film de Villeneuve. Je vais donc penser que ça n’est pas un hasard : pour lui, seul le fait d’engendrer peut donner une valeur à la vie.
Ça me dérange parce qu’on est déjà bien assez nombreux sur cette planète, parce que plein de gens de grande valeur n’ont pas eu d’enfant, et à titre personnel parce que je n’aime pas qu’on me dise que je ne sers à rien.
Voilà donc un bon départ, une ambiance bien comprise, des acteurs globalement satisfaisants, une réalisation soignée, le tout plombé par un message nataliste gerbant et une incohérence majeure qui fout en l’air le concept même de réplicant.
PS en 2018 : avec un peu de retard, je viens de tomber sur une vidéo des petits gars de Psycho-Quoique qui explique bien le problème du comportement rétro-conventionnel des réplicants. Du coup, je vous la mets, bon visionnage.