Valérian et la cité des mille planètes
|de Luc Besson, 2017, ****
Le voici, le voilà, il est arrivé. Il, c’est Valérian et la cité des mille planètes. Et on l’attend d’abord parce que c’est le nouveau Besson, réalisateur capable du meilleur comme du pire, recourant souvent à des ficelles faciles mais les saupoudrant parfois d’expérimentations narratives étonnantes, et qui a qu’on le veuille ou non un certain poids dans le cinéma français.
On l’attend, aussi et surtout, parce que c’est la première adaptation de Valérian, agent spatio-temporel, bande dessinée quinquagénaire qui fut un jalon majeur de la science-fiction française, mêlant space opera, SF classique, fantasy, roman historique, politique-fiction et un peu tous les sujets de société du moment. Devenue Valérian et Laureline quand les auteurs se sont enfin rendu compte que le second rôle était un personnage plus intéressant que le héros, la série a été une influence majeure sur plein d’autres ; on en retrouve vaguement les traces dans le projet Dune de Mœbius et Jodorowsky et donc dans L’Incal, ainsi que dans Independance day ou Dark city, et il y a quatre décennies de frustrations entre Mézières et George Lucas tant certains détails de Star wars rappellent sa petite BD française.
(Petit aveu en passant : je connais très peu Valérian et Laureline. En fait, au risque de heurter, je suis pas fan du dessin de Mézières et, du coup, je n’ai jamais vraiment accroché : pour moi, c’est une série sympa, sans plus. J’ai dévoré avec bien plus d’attention Le vagabond des limbes, série moins complexe (pas de voyage dans le temps et moins de politique) et plus kitsch mais portée par un dessin plus dynamique et aéré, et mon space opera BD préféré est sans doute Sillage, très politique et magnifiquement illustré grâce à des emprunts à des mangas, peut-être inspirés de… Mézières. Oui, je vais fermer cette parenthèse.)
Besson connaît bien l’univers de Mézières, qui a travaillé sur ce qui allait devenir Le cinquième élément. Donc, compter sur lui pour adapter Valérian, sur le papier, c’est pas une mauvaise idée. Mais confier un projet quelconque à Besson, de nos jours, ça paraît plutôt quitte ou double : après Lucy, soyons honnête, plus personne de sain d’esprit ne veut entendre parler de SF par Besson. La critique avait sorti les lance-roquettes avant même que la bande-annonce ne soit diffusée, et a fait flèche de tout bois sitôt les premières images du film présentées.
En premier lieu, tout le monde a tiqué sur l’âge de l’acteur. Une vague histoire du genre « Valérian est un adulte expérimenté, bougon, blasé, caractériel, un peu sombre par moments, on peut pas lui donner les traits d’un type qui semble sortir d’un boys band ».
Je suis toujours très partagé sur ces jugements. On va pas se mentir : Valérian, tel que Christin l’a conçu et tel que Mézières l’a dessiné, on le verrait mieux sous les traits de Rupert Friend, Jake Gyllenhaal ou même Ethan Hawke ou Clive Owen. Mais d’un autre côté, le propre des adaptations est de prendre des libertés, et Besson a voulu rajeunir l’image du héros et le remettre à égalité avec Laureline — dans la BD, ils doivent avoir une quinzaine d’années d’écart. En somme, je comprends la critique mais, pour ma part, je ne vais pas hurler au scandale.
Ce qui me gêne, ce n’est pas que le personnage ait été à ce point réécrit ; c’est que Minet a… Ah, pardon, vous voulez que je cherche son nom ? Alors, voyons Wiki… Dave DeHaan. Ça existe ça ? Ah oui, c’était dans Le destin d’un héros. Et sa carrière n’a pas été tuée dans l’œuf ? Étonnant.
Bref, Minet DeHaan a le charisme d’une endive bouillie. Il se fait du coup totalement voler la vedette par Cara Delevingne, qui n’a pourtant elle-même ni la carrure d’une Michelle Rodriguez, ni la finesse d’une Maggie Gyllenhaal, ni le charme d’une Natalie Emmanuel. En fait, le casting est un peu fait à l’envers : les seconds rôles ont droit à des acteurs au talent reconnu et apprécié, capables de coller à l’ambiance de Mézières, et les premiers rôles sont offerts à des mannequins de pubs pour la parfumerie qui, à eux deux, n’ont pas la présence d’une seule Milla Jovovitch.
Heureusement, un film ne se résume pas à son duo d’acteurs principaux (même si ça peut aider). Et pour le reste, Valérian et la cité des mille planètes ne manque pas de qualités.
D’abord, je mets au défi quiconque de critiquer la séquence d’ouverture, qui montre l’union grandissante de l’humanité, puis de l’univers, d’Apollo-Soyouz à la création d’une planète artificielle en passant par la Station spatiale internationale. C’est sublime, superbement réalisé, avec juste ce qu’il faut d’humour facile pour éviter de tomber dans la symbolique pure.
Ensuite, l’univers graphique pioche à tous les râteliers — Valérian, agent spatio-temporel bien sûr, mais également Avatar, Star Wars, Dune et une quantité impressionnante de références plus ou moins aléatoires. On pourrait y voir une faiblesse, mais c’est bien fait et ça crée une unité dans la diversité qui fonctionne étonnamment bien. Seule la première séquence avec les Na’vi plagistes, pardon, je voulais dire les Müls, fait vraiment trop copiée sur le voisin. Le reste fusionne ses inspirations en un résultat d’une richesse visuelle impressionnante, qui justifie à lui seul le déplacement.
Enfin, même s’il est extrêmement édulcoré par rapport à la bande dessinée initiale, le film ne renonce pas totalement à certains aspects politiques : la couverture des magouilles et des bavures des puissants est au cœur de l’intrigue.
Bien entendu, cela ne compense pas totalement un scénario souvent prévisible, des personnages esquissés et une distribution où les mollusques ont un rôle plus important que les acteurs. Objectivement, c’est un film de SF gentil, tout public, qui laissera les fans de space opera sur leur faim et qui a de quoi faire hurler les lecteurs puristes du magazine Pilote.
Mais la bande-annonce et les premiers retours avaient fait tellement peur que, finalement, « dépasse les espoirs » est la note qui s’impose.