Belle et Sébastien : l’aventure continue
|de Christian Duguay, 2014, **
Il y a un élément notable dans le script : Gabriella, qui se fait appeler Gabriele et cache ses cheveux sous une casquette dans un vibrant hommage à Claudine du Club des cinq. Bon, en soi, on s’en fout, mais ce qui est notable, c’est qu’il y a aussi un montagne des Pyrénées, dont on voit distinctement les testicules dans peut-être une demi-douzaine de plans, que tout le monde appelle « Belle » et conjugue au féminin. Entre la fille qui voulait être un garçon et le chien qu’on prenait pour une chienne, ce film démontre incontestablement tout le mal que la théorie du genre a fait à l’identité sexuelle des personnages de cinéma.
Dieu merci, comme les spectateurs n’ont aucune notion d’anatomie, personne dans la salle n’a remarqué que Belle est un travelo, et personne ne m’a demandé pourquoi je rigolais comme un con dans mon fauteuil.
Il y a un autre truc que j’ai beaucoup apprécié : le Beechcraft 18 qu’on voit beaucoup trop peu et qui se crashe beaucoup trop facilement, et le Max Holste Broussard, un autre appareil pour lequel j’ai un sympathie particulière, qui se crashe lui aussi mais moins grièvement. Au passage, on voit l’étendue des compétences du pilote, dont l’avion pique dès qu’il lâche le manche (le moment où j’ai envie de crier : « eh, ducon, elle sert à quoi la roue du compensateur à ton avis ? »). Ce n’est pas le seul indice laissant penser que ce type n’y connaît rien, puisqu’il dit que son avion est équipé d’une mécanique allemande alors qu’on voit bien son Pratt&Whitney Wasp Jr — les Allemands n’avaient d’ailleurs pas de petit moteur en étoile efficace. Au passage, le script est aussi précis que le pilote, puisqu’on prend la peine de nous préciser qu’on est en 1945, et que le Broussard a fait son premier vol en 1952.
Dieu merci, comme les spectateurs n’ont aucune notion d’aéronautique, personne dans la salle n’a dit qu’un avion, ça tombe pas comme ça, et personne ne s’est demandé pourquoi je prenais régulièrement mon visage dans mes mains.
Après, il y a bien sûr plein d’animaux, des brebis à cornes, toute une foule de bestioles qui traverse la rivière avec le naturel d’un Blanche-Neige et les sept nains, et un ours qui veut manger une Italienne, super réaliste (les ours bruns chassent beaucoup plus souvent les baies que les gens, d’ailleurs sur le tournage ils le motivaient à coups de Chamallows). Au passage, on prend la peine de nous préciser qu’on est en 1945 près de la frontière franco-italienne, et on nous met un ours (disparu des Alpes frontalières depuis 1927, et du Vercors à la fin des années 30) et un loup (déclaré éteint en France en 1940).
Dieu merci, comme les spectateurs n’ont aucune notion de zoologie, personne dans la salle ne s’est étonné de voir des espèces disparues avancer comme un troupeau bien dressé, et personne ne m’a demandé pourquoi je levais les yeux au ciel.
Il y a aussi un peu d’escalade, aux arbres et dans une grotte, où l’on trouve tout naturel de tenir un gamin au bout d’une corde en restant debout au bord du trou pour maximiser les chances de tomber avec, et où l’on vous dit de vous agripper au lierre pour grimper plus sûrement dans un arbre — ce qui est la meilleure façon de se vautrer, croyez-moi sur parole.
Dieu merci, comme les spectateurs n’ont jamais grimpé plus haut qu’un tabouret, personne dans la salle de s’est étonné de voir les personnages sortir vivants, et personne ne m’a demandé pourquoi j’avais l’air effaré.
Mais un film, ça n’est pas qu’un scénario maladroit et une reconstitution bourrée d’anachronismes. C’est aussi un peu de technique.
Je connais quelques photographes. Il n’y a à peu près qu’une chose sur laquelle ils sont tous d’accord : le portrait de mariage, avec le costume noir et la robe blanche côte à côte, c’est l’enfer. La seule solution pour éviter de « brûler la mariée » (ce qui serait ballot, même si la jurisprudence Jeanne d’Arc dit que c’est le dernier jour pour le faire), c’est de régler l’exposition pour la robe. Ensuite, c’est le curseur « lumière d’appoint » et la courbe qui vous permettront de révéler quelques détails dans le costume pour rééquilibrer l’image.
Devinez ce qui ressemble à un costume et une robe de mariée ? Des fringues des années 40 et un pelage de montagne des Pyrénées, banco.
Devinez ce qu’a fait le directeur de la photographie ? Il a choisi une exposition médiane, voilà.
Devinez le résultat ? Le pelage de Belle est grillé sur les trois quarts des scènes où il apparaît, évidemment.
Histoire de ne pas faire que déverser mon fiel, je dois tout de même souligner qu’il y a un type qui a fait son boulot : Olivier Gajan, le chef monteur. Il a réussi à maintenir un bon rythme et à éviter les longueurs, laissant l’histoire s’installer sans trop s’étirer et accélérant les plans aux moments opportuns.
Du coup, on ne s’ennuie même pas. Et pour quelqu’un qui n’a absolument aucun esprit critique, ce scénario cousu de fil blanc peut même fournir un très honnête divertissement. En fait, Belle et Sébastien : l’aventure continue est un très solide téléfilm pour un vendredi soir sur TF1, avec plein de bons sentiments, de rebondissements téléphonés et d’humour gentillet, un peu de suspense mais pas trop, parfait pour distraire les mômes jusqu’à 22 h 30 et espérer qu’ils vous laissent roupiller jusqu’à 8 h le samedi matin.