The walk — rêver plus haut
|de Robert Zemeckis, 2015, ***
Vu que c’est la question inévitable, allons‑y franco : est-ce une bonne idée de prendre un Californien pour jouer un Français, un Anglais pour jouer un Slave, une Québecoise pour jouer une Française, deux New-Yorkais pour jouer des Français, et de leur dire de parler français dans trois ou quatre scènes éparses et anglais avec l’accent français le reste du temps ?
J’ai envie de dire que ça dépend. Comme la beauté est souvent dans l’œil de l’observateur plutôt que dans le sujet observé, cette idée doit être jugée selon l’oreille du spectateur : pour un Américain moyen qui ne connaît du français que les reportages de Fox News sur la Seine-Saint-Denis, ça ne pose sans doute aucun problème. Pour un Français, surtout un qui bosse pas mal avec des étrangers et a beaucoup l’occasion d’entendre des Français parler anglais, il y a çà et là deux où trois intonations étonnantes : en français, je suppose que certaines Françaises adoreront l’accent américain tellement « cute » de Joseph Gordon-Levitt, mais pas une seconde il ne pourra laisser penser que son personnage est Français ; en anglais, c’est presque pire quand il parle avec un pseudo-accent français qui sent l’imitation à trois kilomètres. Ce problème se répète à des niveaux divers avec la quasi-totalité du casting, Clément Sibony et Charlotte le Bon étant finalement les seuls qui mettent leurs accents dans le bon sens (logique : il est Français et elle vit en France depuis un moment).
C’est très dommage, parce que franchement, il y a plusieurs moments où ces accents alambiqués m’ont carrément sorti du film. Joseph et Ben sont deux acteurs pour qui j’ai un immense respect, mais là, ils sonnent faux et artificiels, exactement le contraire de ce qu’ils devraient. Robert, la prochaine fois, sois sympa : prends des acteurs français — ou oublie la langue et tourne directement en anglais comme si c’était naturel.
Autre faiblesse : la trame générale du film, très américaine (ben tiens, Philippe Petit n’avait fait que Notre-Dame de Paris avant les tours jumelles ? Jamais entendu parler de Sydney ?), très rêve américain, très naïve et prévisible en fin de compte. Les relations entre Philippe et ses complices sont déjà vues cent fois, certains rebondissements ressemblent à de pures créations destinées à recréer un semblant de suspense, et je suis bien convaincu que certains détails débiles sont totalement inventés. Ainsi, quand ils passent le câble, je peine à imaginer que Philippe et Jeff soient restés tranquillement debout à deux mètres du bord, sachant qu’ils allaient envoyer deux cents kilos de métal au-dessus du vide et que c’était le meilleur moyen de plonger avec. Je n’étais pas là, mais je suis prêt à parier qu’ils ont commencé à passer le câble déjà appuyés solidement contre le parapet, justement pour ne pas être embarqués.
C’est fort dommage, parce qu’à côté de ces trucs énervants, The walk a quelques qualités remarquables. La première, c’est sur le plan technique : poser de pied, attitude, positions, démarche sont parfaitement rendus — Gordon-Levitt a eu droit à un stage de funambulisme pour se mettre dans le bain et ça se voit. Des petits détails comme la trace du câble sur le chausson, bien centrée entre les deux gros orteils et s’évanouissant vers le talon, m’ont également rappelé plein de vieux souvenirs (je vous ai dit que j’avais fait un an de cirque il y a deux décennies ? Bon, ça m’a confirmé que j’étais pas fait pour, mais j’ai pu observer les bons élèves).
Le moment de bravoure est évidemment la traversée (enfin, les allers-retours, Petit ayant fait pas moins de huit traversées), où Zemeckis, Wolski (directeur photo) et les gens qui ont reconstitué les tours font un superbe boulot : la séquence est vertigineuse, la stéréoscopie efficace renforce une réelle impression d’abîme et l’effet est absolument saisissant — il est juste dommage que, vers le milieu, cette séquence sublime se mette à traîner en longueur, avant de se ressaisir quand Philippe décide de quitter son câble en jouant un peu avec les flics.
Le résultat est un biopic très sage, très gentillet, voire un peu niais par moments, globalement agréable mais sans enjeu, qui vaut surtout par sa dernière demi-heure flamboyante et doit perdre 80 % de son intérêt une fois réduit à l’affichage monoscopique d’un téléviseur. Bref, allez le voir au cinéma si vous aimez le vertige… ou ne le voyez pas du tout.