Top of the lake
|de Jane Campion et Gerard Lee, 2013, ****
Quinze ans après être partie pour Sydney, une fliquette de la protection des mineurs revient dans sa Nouvelle-Zélande natale pour voir sa mère. Ce ne devait être qu’un bref séjour, mais il est prolongé par la conjonction de trois facteurs : sa mère est en fait mourante, ses fiançailles lui pèsent et, surtout, une gamine a disparu — une gamine de douze ans, qu’on avait retrouvée au milieu du lac quelques jours plus tôt et qui est enceinte de cinq mois.
Top of the lake est une série policière moderne, qui reprend par certains côtés nombres d’éléments déjà vus : la vie dans des régions reculées où tout le monde se connaît, où l’on fait justice soi-même et où les flics ne sont pas plus attachés à la Loi que le reste de la population ; les petits trafics qui régulent la vie d’une telle communauté ; les cellules familiales extensibles au gré des cousinages, des abus et des accidents ; la difficulté d’enquêter dans un milieu aussi fermé et celle de mener des recherches dans un paysage gigantesque et inoccupé… Ces thèmes s’accordent naturellement à un rythme lent, contemplatif, qui laisse le temps d’explorer les psychologies torturées des personnages et l’immensité des montagnes néo-zélandaises, dans une ambiance qui peut faire vaguement penser à des œuvres comme True detective.
Cela n’empêche pas ce long film (six heures, découpé en autant d’épisodes) antipodal d’avoir plusieurs originalités. D’abord, la disparition n’est pas vraiment vue comme inquiétante : la gosse semble être partie volontairement, et tout le monde dit qu’elle sait se débrouiller seule en forêt. Ensuite, l’enquête n’est du coup rapidement pas centrée sur « où est-elle ? » mais sur « qui fuit-elle ? » — et donc : « qui est le père de son fœtus ? » Enfin, une importante intrigue secondaire porte sur une poignée de femmes, venues s’installer au bout du monde pour fuir qui un mari violent, qui un divorce difficile, qui la routine du quotidien, ainsi que sur les rapports tendus de ces nouvelles venues avec la communauté locale, très patriarcale et vivant en quasi-autarcie depuis des lustres.
Ce rapport entre femmes étrangères et mâles autochtones vous mettra sur la voie de la vraie thématique qui imprègne l’ensemble de la série : ce n’est pas tant une histoire policière qu’un précis sur la condition féminine. Dans Top of the lake, on parle sans prendre trop de gants de viol, d’agression, de cancer, de place dans la société, d’exploitation ou de vengeance, les hommes étant quasiment définis par leur rapport aux femmes — qu’ils soient protecteurs, abusifs, courageux, lâches, lourds, adorables, ou un peu tout ça à la fois.
Tout cela ne fonctionnerait pas sans une galerie de portraits complexes et bien fichus de personnages des deux sexes, chacun ou presque arborant une part d’ombre plus ou moins discrète qui impacte plus ou moins l’histoire lorsqu’elle est éclairée. À chaque avancée, on peut donc se replonger dans les faux-semblants des épisodes précédents, redécouvrir sous un angle différent des scènes à moitié oubliées, et réinventer sa lecture de l’œuvre.
L’ensemble est donc globalement très bien construit, assez fort, avec un faux happy-end heureusement suivi d’un finale un peu brutal mais haletant. Certains points de détail peuvent être un peu lourds (comme l’identification de la fliquette à la gamine, évidente dès les premiers moments et un peu trop appuyée tout au long de l’histoire), mais l’ensemble est franchement envoûtant.