Les mystérieuses cités d’or
|de plein de gens, 1982, ***
Quand j’avais huit ans, je me contentais pas de lire Jules Verne. Je regardais aussi la télé, enfin, le mercredi après-midi, quand je squattais chez les copains (j’avais pas la télé, à l’époque, pour la bonne raison qu’on n’avait pas l’électricité). Et plus particulièrement une série géniale, avec une histoire de navigateurs dignes des Enfants du capitaine Grant, plein d’aventures sud-américaines, et un documentaire de trois minutes à la fin de chaque épisode. J’adorais Il était une fois… l’homme et Il était une fois… la vie, j’aimais beaucoup Ulysse 31, mais c’était vraiment Les mystérieuses cités d’or qui me scotchait devant l’écran.
Plus de vingt ans ont passé avant que je remettre la main sur cette série. Du coup, j’ai passé les trois dernières semaines à me la refaire en intégrale et dans l’ordre.
Soyons clair : ça a vieilli. Déjà, graphiquement, parce que manifestement personne n’a eu la bonne idée de remastériser tout ça et que ça ressemble à du repiqué de VHS après conversion Sécam-Pal à la truelle. Ensuite, sur le plan de l’animation, même si c’était ce qu’on faisait de mieux à l’époque, parce que mine de rien on s’habitue vite aux progrès de fluidité apportés par l’ordinateur et aux décors hyper travaillés de chez Ghibli. Enfin, parce qu’à titre personnel j’ai pris deux grosses décennies dans les rides et qu’on ne voit plus les choses tout à fait de la même manière à trente piges qu’à huit.
Pourtant, y’a toujours quelques aspects accrocheurs.
Les personnages, bien sûr. Petit, j’accordais logiquement tout mon intérêt aux gosses, et plus particulièrement à Esteban et Tao, même si je me souvenais du faux-méchant Mendoza, un peu ambigu, courageux et relativement moral mais aussi plutôt égoïste et cynique.
Avec le recul, je finis par penser que Mendoza n’est pas loin de voler la vedette aux minots, parmi lesquels Zia et Tao sont sans doute les plus intéressants — Esteban a quand même plus de bravoure que de cerveau, hein, quelque part… De chercheur d’or obsédé, Mendoza va devenir témoin impuissant et vaguement choqué de la violence espagnole à l’égard des autochtones, puis tampon tentant de trouver une issue pacifique aux heurts entre les conquistadores et les gosses, avant de prendre cause pour ceux-ci en assumant quelques risques non négligeables avec des espoirs de gains assez limités.
Le cas de Zia n’est pas inintéressant non plus : sérieusement nunuche au départ, on a un peu l’impression que les scénaristes ne savaient pas quoi en faire jusqu’au naufrage de l’Esperanza. Elle prend plus d’importance et surtout de valeur une fois en terre américaine et, si elle reste très conforme au modèle féminin par excellence (pas un geste déplacé, pas un mot plus haut que l’autre, toujours à arrondir les angles…), elle évolue sensiblement pour devenir plus posée, mais aussi plus déterminée, notamment lorsqu’il s’agit de poser des conditions pour utiliser son médaillon ou déchiffrer un document.
Côté ambiguïté, il faut enfin noter le cas de Gomez, méchant au service de Pizarro qui devient méchant à son propre compte et s’offre ainsi une deuxième carrière.
On a donc des personnages travaillés, et il est d’autant plus malheureux que d’autres ne changent pas. Tao reste bloqué en mode « Hermione — Pierre philosophale« 1 tout au long des quarante épisodes, ce qui est d’autant plus triste que le personnage avait un vrai potentiel en apportant un contre-point réfléchi et astucieux à la « force brute » d’Esteban (c’était pourtant au départ mon personnage favori, lorsqu’il apparaissait dans ses maisons arboricoles) ; Pedro et Sancho (dont je n’avais plus aucun souvenir) sont souvent insupportables de bêtise prévisible, et Pichu donne envie de bouffer un poulet cru là, maintenant, tout de suite.
Côté scénario, c’est finalement assez inégal. La partie maritime du récit, qui est peut-être celle qui m’avait le plus marqué, est très sympa à une ridicule attaque de requins près, de même que la découverte de Tao aux Galápagos, la lutte entre Gomez et Zia pour la lecture du quipu, la première apparition du condor (qui, dans mon esprit, était plus vers la fin de la série) et toute la recherche de la cité à travers la jungle.
Il y a en revanche quelques passages d’un ridicule abouti, comme la rencontre des Amazones et surtout l’atroce débarquement des Olmèques, qui a en plus le mauvais goût de durer une dizaine d’épisodes et est la preuve que si les scénaristes ont eu raison d’explorer les terres américaines, ils auraient été mieux avisés de ne pas abuser de peyotl. Franchement, j’avais totalement occulté ces êtres bizarres qui veulent des cellules mais on sait pas pourquoi personne est d’accord et qui s’approprient une source de naquadria d’énergie sans en comprendre le mécanisme. Et j’avais bien raison.
Malgré ces faiblesses, pris dans son ensemble, Les mystérieuses cités d’or a un charme indéniable. Peut-être parce que c’est loin d’être aussi gentiment niais que beaucoup de dessins animés de l’époque, parce qu’il y a des ambiguïtés, des doubles-sens et des retournements de personnages, parce que même si Miyazaki a fait très mal depuis, certaines scènes restent exemplaires de dessin comme d’ambiance… Parce que le scénario était plutôt bien fichu dans ses grandes lignes et proposait quelques épisodes proprement passionnants, aussi…
Et surtout, il y a cette fascination et cette capacité à faire remonter une époque révolue : pour moi, Les mystérieuses cités d’or sent le cade et l’ajonc, la canicule printanière et les décollages de Tracker, le suint et les après-midi à chahuter avec le fils du voisin2 ou la fille de la voisine3, les heures de classe à regarder la brune d’à côté et à écouter le cours des CM2 sur les multiplications décimales… Bref, une partie du charme de cette série, c’est tout simplement l’effet « madeleine« 4.
- Pour ceux qui ne connaîtraient pas Harry Potter, Hermione est, dans le premier tome (La pierre philosophale, curieusement devenu À l’école des sorciers par la grâce d’un traducteur bourré), un personnage hautain, prétentieux et particulièrement insupportable, qui passe son temps à ramener sa science et à reprocher aux autres leur tendance à foncer d’abord et réfléchir ensuite.
- À cinq cents mètres.
- À trois kilomètres.
- Non, j’ai pas lu Proust. Mais ça fait classe de passer pour un lettré. ^^