Boots
d’Andy Parker, 2025, ****
Quand Ray, issu d’une famille militaire et préparé dès son plus jeune âge pour ça, rejoint le corps des Marines, son meilleur pote, Cameron, panique un peu : il ne lui reste qu’une famille qui l’ignore, des camarades qui le harcèlent et une petite vie coincée dans son recoin de Louisiane. Alors, il signe aussi. Sauf qu’au contraire de Ray, Cam est un peu gringalet, plutôt timide, pas super adroit, pas spécialement teigneux… Le « boot camp », la phase de formation et sélection initiales, s’engage mal. En prime, un autre petit obstacle se dresse sur sa route : comment passer inaperçu au milieu de tous ces mecs musclés qui se douchent ensemble et passent leurs journées à multiplier les contacts physiques, entre entraînement au corps-à-corps et franchissement d’obstacles ? Ah oui, parce qu’on est en 1990 et à l’époque, la règle est claire : les homos n’ont tout simplement pas le droit de s’engager dans l’armée américaine.
(Notez en passant que certains critiques font référence à la règle « don’t ask, don’t tell » qui bloquerait l’arrivée du héros. Mais d’une part, celle-ci permettait aux homos de servir, c’était même la raison fondamentale de son adoption. D’autre part, elle a été mise en place en 94, bien après les événements de la série, qui repose entièrement sur le fait que le héros n’aurait légalement même pas dû s’engager. Conclusion : pour un critique, c’est un problème d’avoir vaguement vu trois épisodes de JAG en 1996 et de vouloir plaquer ce qu’on a à moitié compris à l’époque sur une nouvelle série totalement différente, sans piger que les règles militaires de la fin des années 90 n’ont absolument rien à voir avec celles du début de la décennie.)

Fondamentalement, Boots est une comédie dramatique équilibrée, avec des passages tordants, des passages plus émouvants, un quasi documentaire sur la formation militaire américaine (qui rappelle délibérément Full metal jacket par certains côtés) piraté par les fantasmes et réflexions du narrateur. Le scénario reprend sans s’appesantir les débats de l’époque sur la place éventuelle des homos, mais aussi des femmes, dans l’armée en général et dans le corps des Marines en particulier. Il pose en creux la vraie question : est-ce vraiment intelligent de se priver de bons soldats juste parce qu’ils ont pas les mêmes fantasmes que la majorité ? Le lien entre orientation sexuelle et virilité, et d’ailleurs le lien entre virilité et aptitude au combat, sont-ils des réalités ou de simples mirages rétrogrades ?
Bon, au départ, Cameron n’est pas une recrue extrêmement prometteuse. Il devra passer par une vraie initiation pour commencer à trouver une place, et la série joue sur les clichés de l’homo doux et maladroit jeté dans un univers rude et sportif. Mais nous découvrons rapidement un autre point de réflexion : le sergent Sullivan, excellent combattant, instructeur sadique, leader né, qui est selon la capitaine du camp « exactement le type de soldat dont on a besoin », et qui est rétrogradé d’un peloton de pointe à Guam vers un camp d’entraînement parce que, euh, parce que quoi au fait ?

La réalisation est efficace, sans temps mort, oscillant avec bonheur entre scènes militaires plus ou moins violentes et séquences plus parodiques voire absurdes. L’utilisation du classique alter ego représentant la psyché du personnage fonctionne bien, les dialogues sont soignés et tous les personnages ont leur raison d’être et leurs objectifs personnels. La direction d’acteurs est particulièrement réussie : tout le monde joue franchement juste, avec un poil de cabotinage dans les passages comiques et une vraie touche dramatique lorsqu’il faut. En fait, par certains côtés, l’équilibre de la série rappelle un peu Scrubs, en beaucoup moins caricatural tout de même.

C’est donc très bon, entraînant, rigolo, pas (toujours) bête et très humain. S’il y a une faiblesse, c’est l’absence de recul sur l’engagement lui-même : on parle des familles militaires où tout le monde rejoint l’armée naturellement, on parle de ceux qui signent parce que c’est le seul moyen de sortir de chez eux, on parle de ceux qui savent pas quoi faire et rentrent dans un bureau de recrutement par hasard, on parle des patriotes qui veulent servir leur pays quoi qu’en disent leurs proches, mais on survole la signification concrète de l’engagement, l’acceptation par avance d’obéir, de galérer, de souffrir, de tuer ou de mourir sur un simple ordre reçu par la chaîne de commandement. Mais bon, ça pose suffisamment de dilemmes moraux pour qu’on pardonne l’absence de celui-ci.
Et puis, depuis deux mois, la série profite d’une excellente raison supplémentaire de la voir en masse : chaque fois qu’on regarde un épisode de Boots, ça fait pleurer des dirigeants du parti républicain. Ça faisait en effet très longtemps qu’on avait pas vu un secrétaire à la Défense prendre directement parti contre une série.
Ça rend d’autant plus triste le choix de Netflix d’arrêter après une seule saison…