Lioness

de Taylor Sheridan, depuis 2023, ***

Les lionnes, c’est un pro­gramme d’in­fil­tra­tion et d’exé­cu­tion de la CIA. Le prin­cipe : les gens se méfient moins d’une femme, sur­tout si c’est leur femme ou leur fille qui la leur pré­sente. Les lionnes savent donc être dis­crètes, sym­pas, ami­cales ; elles savent faire du shop­ping, faire jolies sur un yacht, écla­ter de rire en regar­dant le beau gosse de ser­vice avec leurs copines ou écou­ter en com­pa­tis­sant les peines de cœur de l’hé­ri­tière d’un mar­chand d’armes ou d’un tra­fi­quant de drogues. Et elles savent flin­guer, égor­ger, étouf­fer ou empa­ler ledit tra­fi­quant à la seconde où elles le voient. Infiltrées en pro­fon­deur auprès de gens intou­chables autre­ment, elles peuvent tou­jours espé­rer être secou­rues par leur QRF, une demi-dou­zaine de gros bras sur­ar­més qui les sur­veillent de loin, mais l’ex­trac­tion n’est pas garan­tie et les lionnes sont consi­dé­rées comme sacrifiables.

Nous sui­vons donc Joe, direc­trice des opé­ra­tions du pro­gramme « lionnes », qui vient de faire lar­guer un Hellfire sur sa der­nière recrue (celle-ci avait pu confir­mer la pré­sence du méchant visé, mais avait été prise par l’en­ne­mi). Elle doit donc for­mer Cruz, ex-Marine et future lionne, en espé­rant que celle-ci sorte vivante de la mis­sion – deux d’af­fi­lée, ça ferait beaucoup.

Laysla De Oliveira dans Lioness
Oui, je suis en mis­sion : j’in­filtre un groupe de courges bour­geoises à la plage. Et j’ai sur moi tout ce qu’il faut pour tuer tout le monde. — pho­to Paramount+

Alors voi­là, un truc doit être clair : mal­gré le cas­ting très lar­ge­ment fémi­nin (et encore, le « pre­mier » rôle mas­cu­lin n’est là que parce qu’il est marié à l’une des héroïnes), Lioness n’est pas féministe.

Souvenez-vous : dans 1883, Elsa était déli­ca­te­ment vio­lente et reven­di­quait le droit de s’ap­pro­prier les légendes de l’Ouest comme les mecs. Dans 1923, Alexandra fai­sait péter les conven­tions sociales en cher­chant plai­sirs char­nels et aven­ture avec le mec qui lui plai­sait. Dans Yellowstone, Beth subis­sait les traî­trises et la vio­lence des hommes et s’en ven­geait avec méthode et vio­lence. Dans Sicario, Kate devait s’im­po­ser dans l’u­ni­vers très mas­cu­lin du FBI. Rien de cela dans Lioness : l’hu­main est un gros bour­rin tou­jours prêt à jouer à qui pisse le plus loin et à mas­sa­crer son pro­chain (par­fois simul­ta­né­ment), et ce, quel que soit son sexe. La femme est un homme comme les autres, avec la même vio­lence intrin­sèque, les mêmes objec­tifs, le même arme­ment et la même capa­ci­té à péter un plomb et à tirer dans le tas plu­tôt que de cher­cher une issue pacifique.

Zoe Saldaña dans Lioness
Moi, je suis cheffe sur le ter­rain, j’ai pas besoin de me fondre dans la foule. Mais j’ai sur moi tout ce qu’il faut pour tuer tout le monde. — pho­to Paramount+

Ceci étant posé, on se doute que la psy­cho­lo­gie ne sera pas la qua­li­té prin­ci­pale de la série. En fait, c’est une his­toire de gros bras bas de pla­fond accros à l’a­dré­na­line qui se jettent dans des opé­ra­tions plus ou moins vouées à l’é­chec, pour le bon­heur de poli­ti­ciens qui s’en­gueulent à l’a­bri dans leurs bureaux pour savoir qui tire­ra les mar­rons du feu si par hasard l’o­pé­ra­tion réussit.

La série est pour­tant tout à fait regar­dable (à condi­tion de pas avoir l’es­prit trop paci­fiste et de ne pas être dégoû­té par le sang, évi­dem­ment). Elle compte pour cela sur deux choses : le cas­ting et la tech­nique. Le couple Saldaña / Annable fonc­tionne éton­nam­ment bien, sachant qu’elle est dir ops à la CIA et qu’il est can­cé­ro­logue pédia­trique. De Oliveira s’im­pose assez bien dans son rôle de tei­gneuse impul­sive qui tente de se civi­li­ser pour la mis­sion (tout en pei­nant un peu plus dans les rela­tions per­son­nelles). Wagner excelle en tei­gneuse un peu plus évo­luée que les mecs. Quant au cas­ting mas­cu­lin, il fait son taf avec l’ef­fi­ca­ci­té de ses per­son­nages. Et, sur­tout, Nicole Kidman est sublime en direc­trice de pro­gramme de la CIA qui passe son temps à navi­guer entre les poli­ti­ciens et les opé­ra­tion­nels. J’ai vu cer­tains cri­tiques lui repro­cher son absence d’ex­pres­sion, mais à mon humble avis, ils ont pas dû bien faire atten­tion : elle a plein de micro­mi­miques, de légères into­na­tions, de petites varia­tions de pos­ture, qui vont par­fai­te­ment à un per­son­nage qui a pas­sé trois décen­nies à mani­pu­ler les autres et à mas­quer ou feindre ses émotions.

Nicole Kidman dans Lioness
Moi, je suis cheffe au bureau. Et inutile de me deman­der ce que j’ai sur moi : vous ne sau­rez jamais si ma réponse sera vraie. — pho­to Greg Lewis pour Paramount+

Et sur le plan tech­nique, on a une pho­to sublime, qu’on soit sur un yacht à Ibiza, dans la pous­sière mexi­caine ou dans un bureau de Langley, et un mon­tage ten­du comme une corde à pia­no. Le scé­na­rio de la pre­mière sai­son se déroule sur un rythme pres­to, avec une his­toire écrite au cor­deau qui amène au but presque sans détour – ni sub­ti­li­té, c’est par­fois un peu dommage.

La seconde sai­son manque de cohé­rence, avec plu­sieurs intrigues qui se mélangent par­fois sans vraie logique. Même le sui­vi des per­son­nages est par­fois aux fraises : quand Kate sur­prend ses parents au lit et féli­cite sa mère pour cette démons­tra­tion d’a­ma­zone, celle-ci est cho­quée que sa fille de quinze ans connaisse la posi­tion. C’est pas comme si la gros­sesse de Kate avait été un res­sort impor­tant de la pre­mière sai­son (et aux der­nières nou­velles, la plu­part des filles qui tombent enceintes avec leur copain ont une expé­rience sexuelle) ! Cette seconde sai­son est donc net­te­ment moins bonne que la pre­mière, mais elle est sau­vée par quelques scènes qui fonc­tionnent bien, une pho­to irré­pro­chable et, là encore, un mon­tage hale­tant et entraînant.

Les filles de l'héroïne
Nous, on est les faire-valoir pour mon­trer que Maman est une vraie femme mal­gré tout. Et on a tout ce qu’il faut pour tuer la cré­di­bi­li­té du scé­na­riste — pho­to Paramount+

L’ensemble est donc une série d’ac­tion et d’es­pion­nage pre­nante, dont la tona­li­té ne laisse guère d’es­poir envers l’hu­ma­ni­té. La psy­cho­lo­gie et par­fois la cohé­rence des per­son­nages sont sur­vo­lées, mais la ten­sion omni­pré­sente, le soin appor­té à la tech­nique et le rythme effré­né donnent un diver­tis­se­ment très réus­si dans son genre.